État d’urgence

vendredi 11 décembre 2015
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

L’état d’urgence a d’abord été décrété par les assassinats massifs et anonymes du vendredi 13 novembre. Subitement, après les assassinats qui avaient pris pour cibles des journalistes défendant, à coup de caricatures, de la pointe de leur crayon la liberté d’expression, de simples clients d’un magasin juif, des policiers, un cran supérieur dans l’horreur semble franchi, comme annonçant d’autres crimes à venir. L’enquête déterminera plus tard le détail du projet, tous les exécutants, les commanditaires, etc. Pour l’heure il est urgent de résister aux explications faciles et simplistes. Il est urgent de s’interroger sur les causes multiples qui conduisent des hommes à en faire mourir d’autres qu’ils ne connaissent pas au nom d’une interprétation de leur religion, bref, de cet étrange retour au fanatisme qu’une société laïque croyait avoir aboli. S’interroger sur les causes, c’est expliquer, ce n’est pas, ce ne doit pas être justifier. C’est se donner les moyens d’une transformation sociale qui vise à libérer les hommes du fanatisme.

L’état d’urgence a ensuite été décrété puis prolongé sur le plan policier. Et le président a même pour projet de le constitutionnaliser afin de mieux pouvoir l’utiliser. Était-il urgent ? Le rétablissement des contrôles aux frontières n’en avait pas besoin. Comment contrôler d’ailleurs les six cent vingt kilomètres de frontières entre la France et la Belgique par exemple ? Le souvenir de la ligne Maginot semble avoir été oublié. À supposer que l’état d’urgence permette des enquêtes administratives interdites en temps normal, faut-il à ce point se défier des juges pour penser qu’ils ne donneraient pas les autorisations nécessaires pour perquisitionner légitimement ? Pourquoi interdire les manifestations pour le climat, voire contre la politique du gouvernement et autoriser les manifestations sportives, les concerts, etc. ? Est-ce parce que les fanatiques les menacent ou bien l’état d’urgence sert-il aussi d’instrument pour mater toute contestation, toute voix discordante ? Demander comme dans le Loiret (lire le communiqué de Sud éducation Loiret ci-contre) à repérer les personnels qui font grève pour les signaler comme dangereux aux mêmes titres que les assassins du 13 novembre en dit long sur l’urgence d’une formation aux valeurs de la république pour quelques petits chefaillons zélés.

Nous aussi, décrétons l’état d’urgence. Celui de la vigilance d’abord. Car il en faut pour ne pas tomber dans les approximations, les confusions, les partis pris qui, du fait de l’horreur qui s’est répétée le 13 novembre, règnent en maîtres. Nos revendications pour l’école, c’est-à-dire pour une éducation qui émancipe et non pour un enseignement qui réduit l’humain à son employabilité, sont plus que jamais de rigueur. Et ce ne sont pas quelques minutes de formatage sur les soi-disant valeurs de la république, clamées comme autant de vaines prières et toujours démenties dans le même temps dans les actes, qui vont nous intimider. Celui de la pensée ensuite. Car il faut penser à la fois dans toute sa complexité la configuration de notre monde, nous déprendre des slogans trop faciles et résister aux oiseaux de mauvais augures dont le pessimisme facile, caricaturale et grossier vise le désastre de tout projet d’émancipation.