L’ÉDUCATION NATIONALE, SUCCURSALE DE LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE : QUAND L’ÉDUCATION NATIONALE RECRUTE POUR UNE BANQUE

vendredi 10 février 2006
par  Sud éducation 66

Le slogan de la Société Générale est : « Si on en parlait ? ».
D’accord, parlons-en…

Mercredi 7 décembre après-midi, palais des congrès de Perpignan. Le « Quiz Team » organisé par la Société Générale commence. Trois lycées publics du département (Arago, Lurçat et Maillol) et un lycée privé ont “fourni” (on aurait bien dit “loué”, mais le service était gratuit…) à la banque des élèves, sélectionnés pour leur culture générale, participant à un jeu présenté par la banque comme étant du type « Questions pour un champion ». Ah, la culture ! Voilà qui devrait ravir tous les membres de l’Education nationale ! Voyons de plus près de quoi il s’agit.

Les participants s’assoient, par groupes, à des tables où sont disposées diverses brochures publicitaires sur la Société Générale. Dans une ambiance de show télévisé, un “chauffeur” de salle est chargé de mettre les élèves dans l’ambiance : « Qui veut gagner le quiz ? Il n’y a que ceux-là qui crient ! Les autres ne veulent pas gagner ? », etc.

En guise d’apéritif, chaque table reçoit un questionnaire sur la Société Générale. On précise aux candidats qu’ils ont tout intérêt à le remplir. En effet, certaines des questions seront posées à nouveau durant le quiz lui-même ! Exemples : « Quel est le plafond autorisé d’un découvert à la Société Générale sur un compte jeune ? » ; « Quel est l’âge minimum pour pouvoir disposer d’une carte bleue ? » (Comment ? Vous trouvez que ces questions n’ont rien à voir avec la culture générale ? Vous trouvez qu’elles peuvent inciter les élèves à devenir clients de la banque ? Quel mauvais esprit !). Les réponses sont bien sûr dans les brochures, mais des “conseillers” de la banque se sont de toute façon assis à chaque table pour aider les élèves.

Le show continue : on annonce aux participants qu’ils ont tous d’ores et déjà gagné deux places de cinéma chacun. Ils apprendront plus tard que ce don généreux est subordonné à l’ouverture d’un compte à la Société Générale ; détail mineur, ne pinaillons pas… L’animateur présente ensuite les lots à gagner : un lecteur MP3, un baladeur radio Nike (sic) et une montre. Mais les gagnants devront aller les chercher à « l’espace jeune » de la banque, car ces lots n’ont pas été reçus à temps (zut alors, quelle malchance !).

Pour ce qui est du jeu lui-même, les participants ont été divisés en groupes concourrant les uns contre les autres, lycées contre lycées. Sur ce point, on peut reconnaître que la Société Générale respecte l’esprit de l’Education nationale : il ne s’agit là que d’une “miniaturisation” de la compétition entre établissements à laquelle nous assistons depuis maintenant plusieurs années. Quant à la culture générale, rassurons-nous, elle est au rendez-vous à travers cinq rubriques : télévision, musique, cinéma, sport et… littérature (ouf !). A propos de littérature, les participants d’une autre session que celle des lycéens (étudiants, jeunes rugbymen…) apprendront que Les Lettres de mon moulin ont été écrites par Giono, et non par Daudet comme leurs profs le leur ont appris, et comme ils ont d’ailleurs tous répondu. Il faudra que les participants s’insurgent pour que l’animateur reconnaisse piteusement son erreur. Pour la musique, on imagine bien qu’il s’agira plus de Lorie que de Bach ou Beethoven, mais enfin quoi, vous avez quelque chose contre la « culture jeune » ? Et comme promis, ces questions de culture générale (« Quel est le prénom de la sœur de Phoebe dans la série TV Friends ? ») sont émaillées de questions sur la Société Générale… Entre la culture générale et la culture Société Générale, l’écart est si mince !

Le jeu fini, les grands gagnants sont applaudis comme il se doit dans tout show qui se respecte. Pendant ce temps, les “conseillers” distribuent à tout le monde des mallettes « Quiz Team » (voir photo) contenant une abondante publicité sur la Société Générale, surtout concernant les services qu’elle offre aux jeunes. Tartufferie suprême : chaque mallette est ornée d’un autocollant : « Pour les mineurs, ouvrir en présence des parents ». C’est dans cette mallette que les élèves apprendront, par un astérisque en bas de page, que les deux places de cinéma sont “offertes” « sous réserve de souscription à un Compte sur Livret ou à un compte courant. »

La mallette distribuée à tous les élèves...

Quel bilan peut-on tirer de tout cela ? Le « Code de bonne conduite des interventions de entreprises en milieu scolaire »(1), texte officiel (par ailleurs éminemment critiquable car légitimant de fait certaines pratiques scandaleuses : voir l’appel à signer le manifeste pour l’annulation de ce texte), dit notamment :

- « Les services de l’éducation nationale et les établissements scolaires sont également souvent sollicités par des entreprises qui souhaitent intervenir en milieu scolaire, afin de bénéficier des facilités d’accès à une population ciblée et captive envers laquelle elles ne poursuivent en fait qu’une stratégie commerciale. »

- « Conformément aux recommandations de la note de service du 27 avril 1995, les services de l’éducation nationale, centraux ou déconcentrés, s’assurent de l’intérêt pédagogique des propositions de partenariat des entreprises à destination du monde scolaire. Les actions de partenariat doivent soit s’inscrire dans le cadre des programmes scolaires, soit être liées à l’éducation (culture, civisme, santé...), soit favoriser un apport technique (notamment pour la réalisation de produits multimédias), soit enfin correspondre à une action spécifique (commémoration, action locale). […]
Toute action de partenariat doit respecter les valeurs fondamentales du service public de l’éducation, notamment le principe de neutralité et n’est destinée qu’à faire connaître aux élèves une entreprise et ses modalités de fonctionnement. Elle ne saurait dissimuler une véritable opération commerciale. »

- « Des entreprises proposent d’organiser des concours qui s’adressent aux élèves. Ces concours doivent avoir une relation explicite avec les programmes d’enseignement et la formation des élèves. Il appartient à l’établissement de s’assurer de l’intérêt pédagogique du projet de concours. Dans les établissements d’enseignement secondaire, le conseil d’administration peut être utilement saisi pour fixer les règles de participation aux concours. »

Nous laissons le lecteur seul juge de la « bonne conduite » de la Société Générale…

Marc Anglaret

(1) http://www.education.gouv.fr/bo/2001/14/ensel.htm