La rentrée de la continuité !

jeudi 3 octobre 2013
par  Sud éducation 66

par Patrice Begnana

Au moment où résonne à nouveau le bruit des bottes, que les discours martiaux et prétendument humanitaires saturent la sphère médiatique, la petite voix de la laïcité se fait de nouveau entendre. La loi de 1905 est-elle menacée par des hordes de fanatiques prêtes à fondre sur la République  ? On pourrait le croire. Aussi est-ce l’enjeu de cette rentrée. Non pas alléger des classes aux effectifs toujours alourdis, non pas réécrire des programmes absurdes du cours préparatoire à la terminale, mais afficher une charte de la laïcité. Nul doute qu’elle permettra aux élèves de mieux parler les langues étrangères à 30, de mieux étudier les fonctions à 36. Le ministre a beau se répandre et expliquer que sa nouvelle charte ne vise pas les musulmans, son insistance donne à penser le contraire. Après l’identité nationale, la laïcité. Décidément, comme les cinéphiles le savent, il faut bien changer quelque chose pour que tout reste comme avant.

Ainsi va le changement. Le décret pris par le précédent gouvernement sur l’évaluation par les chefs d’établissement a été immédiatement supprimé par le nouveau. Mais, il revient sur le tapis dans des projets liés à la refondation du métier. Dans le même temps, le dispositif « éclair » obscurcit l’horizon. Par exemple, la prime au mérite a été maintenue. Dans tel établissement une enveloppe de 34 000 € est partagée entre quelques dizaines de professeurs. Pendant que certains touchent 100 €, d’autres en touchent 2 000 €. Si les funestes projets de l’évaluation et du recrutement par les chefs d’établissement reviennent, si les dispositifs antérieurs demeurent, c’est bien parce qu’il n’y a pas de changement mais toujours la même volonté de transformer en un sens néolibéral l’école.

Le prouve le projet de « titularisation  » des auxiliaires de vie scolaire (AVS). Jusque là, après six ans de contrat à durée déterminée (CDD), les AVS étaient prié(e)s de changer de crèmerie.

Reconnaître cette absurdité est positif. Reconnaître qu’il y a là un « vrai  » métier, c’est recouvrer la vue. Mais, dans le projet annoncé par le premier ministre en personne, il ne s’agit absolument pas de créer des postes de fonctionnaires avec un statut et une carrière. Certes, on est soulagé de penser que quelques milliers de nos collègues vont sortir de la précarité. Mais comment  ? Le projet pour l’instant consiste à élire au titre d’une embauche en contrat à durée indéterminé (CDI), c’est-à-dire sous contrat de droit privé, les AVS qui auront six ans de précarité (= CDD). Aussi, sur les quelques 28 000 AVS concerné(e)s actuellement, quelques 3 000 auront un CDI en 2014. Il s’agit donc d’un processus qui devrait durer jusqu’en 2019, à moins qu’un nouveau gouvernement en décide autrement en 2017. Un diplôme d’État sera mis en place qui pourra être validé par les acquis professionnels.

Mais aucun concours n’est prévu. En outre, seuls les AVS recrutés comme assistant d’éducation pourront accéder au CDI. Les AVS recrutés sous le statut de contrat aidé ne pourront y prétendre. Le mot « aidé » semble avoir un étrange sens dans la tête de nos gouvernants. Enfin, leur travail sera nécessairement à temps partiel puisque les quelques 28 000 AVS actuels occupent quelques 16 000 équivalents temps plein. Quelle étrange résorption de la précarité  ! Toujours est-il que reconnaître un métier et ne vouloir recruter que des CDI en dit long sur le projet implicite, à savoir limiter, voire faire disparaître le statut de fonctionnaire pour le remplacer par des contrats de droit privé. Rappelons que c’est ce que la Fédération helvétique a fait il y a une quinzaine d’années pour tous les emplois publics (policiers, juges, etc.) Rappelons qu’il est possible légalement d’embaucher en CDI des professeurs. C’est donc bien continuer à envisager la privatisation de l’Éducation nationale.

Ce n’est pas l’étonnante « réforme  » des rythmes scolaires à l’école primaire qui montrera le contraire. Longtemps la semaine de quatre jours et demi a existé. Revenir à la semaine de quatre jours et demi telle qu’elle était présupposait de revenir sur la suppression des deux heures de cours par semaine (26 par enfant) transformées parle précédent gouvernement en deux heures pour les élèves en difficulté. Ce qui revient à une réduction à 24 heures hebdomadaire pour la plupart des enfants. Si on compte qu’une année scolaire, c’est au moins 36 semaines, un calcul rapide conduit à voir qu’un enfant moyen qui n’a pas de difficultés particulières ou qui en a moins que les autres, ce qui le dispense des deux heures d’aide, a perdu 360 heures d’enseignement en cinq ans (soit 15 semaines à 24 heures). Or, la principale modification de la « réforme  » Peillon consiste à confier aux mairies le soin d’organiser la semaine et les activités extrascolaires. C’est ainsi que la bonne ville de Grenoble proposera dès cette année des activités gratuites et des activités … payantes. Selon la situation des communes, les intervenants pour trois heures iront des retraités bénévoles aux entreprises privées cherchant à faire des profits selon le bon vouloir des maires sous la très discrète autorité de l’Éducation nationale. La richesse des communes, la difficulté pour les petites communes isolées pour trouver des intervenants pouvant se déplacer pour deux fois une heure et demie, l’intérêt très différent des élus pour les questions d’éducation, les différences entre quartiers dans les grandes villes, accroissent l’émiettement de la République.

C’est donc une réforme qui s’oppose à cet écran de fumée qu’est la charte de la laïcité qui proclame la république indivisible. C’est donc une entrée du privé dans la formation obligatoire avec son cortège d’accroissement des inégalités. C’est le changement dans la continuité.

Quant à la « réforme » des retraites qui consiste à maintenir le départ à 62 ans, à maintenir la décote et à allonger la durée de cotisation (43 après 2020), elle montre l’accord avec le précédent gouvernement sur le programme de suppression à terme de toute retraite. Certes, le MEDEF joue sa partition  : cette réforme est insuffisante, crie-t-il. « L’opposition  » de droite hurle qu’elle ira plus loin : retraite à 65, voire 67 ans et augmentation à plus de 43 ans de la durée de cotisation pour une retraite complète. Mais la tendance est la même. Le lâche soupir de soulagement de ceux qui se félicitent parce que le gouvernement actuel n’est pas allé plus loin est vain. En 2003, puis en 2010, la « réforme  » des retraites devait résoudre à jamais le « problème » du financement. Il n’en a rien été.

Demain, si nous n’arrivons pas collectivement, par la lutte, à inverser la direction que prennent nos gouvernants, nous vivrons dans un monde où la durée de travail s’accroitra, où le règne de l’arbitraire du privé sera sans partage, où le froid égoïsme calculateur sera le principe de toutes les relations sociales.