LE RAPPORT SUR LES RYTHMES SCOLAIRES OU LA MORT ANNONCÉE DE L’ÉCOLE

mercredi 16 mars 2011
par  Sud éducation 66

Par Marc Anglaret

La mission d’information sur les rythmes scolaires, présidée par la députée UMP Michelle Tabarot, a rendu en décembre dernier un énième rapport parlementaire(1) sur la question des rythmes scolaires. Toute l’hypocrisie de ce rapport consiste dans la tentative du ministère de l’Éducation nationale de faire croire que cette question des rythmes scolaires est traitée pour elle-même, et avec le souci premier du « bien-être de l’enfant et de ses apprentissages », alors qu’elle n’est qu’un prétexte, très mal dissimulé à vrai dire, pour tenter de légitimer les dizaines de milliers de suppressions de postes dans l’éducation. Rappelons en effet que ces suppressions font partie d’un plan gouvernemental d’économie budgétaire qui n’a rien à voir avec les questions éducatives, puisqu’il concerne toute la fonction publique.
C’est donc hélas sans surprise que ce rapport préconise de nombreuses mesures qui permettraient d’économiser des postes (même si toutes ne se réduisent pas à cela)… Il n’est pas possible d’en faire ici une présentation exhaustive. Nous choisirons celles qui nous semblent les plus significatives.

(1) http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3028.asp

PREMIER DEGRÉ

Le rapport résume ainsi la question des rythmes scolaires dans le premier degré : « une journée trop longue et une année trop courte ». Il propose d’« interdire la semaine de quatre jours » pour passer à quatre jours et demi ou cinq jours.

Dans une logique qui nous est désormais familière, le rapport envisage de sortir du cadre national pour mettre en place une « régionalisation du temps scolaire ». Il est même envisagé de « laisser aux écoles une capacité d’initiative leur permettant de “s’ajuster” aux spécificités locales, notamment au public scolaire qu’elles accueillent ».

Les programmes, jugés « encyclopédiques » par l’Académie nationale de Médecine, sont appelés à plus de modestie.

Comme pour le second degré, on le verra, il est suggéré (à demi-mots) d’augmenter le temps de présence des enseignants à l’école, en plus des heures d’enseignement, afin « de mieux reconnaître l’ensemble de leurs missions ».

Il est également fortement suggéré de « revoir le statut de l’école et de son directeur ». Il faut bien sûr entendre par là augmenter « l’autonomie » des écoles et les pouvoirs du directeur (diviser pour mieux régner, la recette a fait ses preuves), diminuer ceux du conseil des maîtres en augmentant ceux du conseil d’école, notamment en ce qui concerne le projet d’école.

Les atteintes à la laïcité ne sont pas oubliées : le rapport cite le secrétaire général de la Conférence des évêques de France, qui s’oppose au travail le mercredi matin en mettant en avant « le principe d’un temps de catéchèse reconnu comme tel par le temps scolaire ». Car « organiser la catéchèse le mercredi après-midi, cela reviendrait à la placer en concurrence avec le sport ou la musique et, par voie de conséquence, à en faire une activité de loisirs comme une autre ». Si l’on n’est guère étonné que l’Église catholique prêche pour sa paroisse, il est en revanche absolument inadmissible qu’un rapport parlementaire soit aussi complaisant à l’égard de revendications qui ne sauraient être prises en compte, dans un État laïc, que par l’école privée ! Il en va de même pour les revendications propres aux musulmans (demande que les élèves puissent participer à la prière communautaire du vendredi) et aux juifs (à propos du samedi, jour du shabbat), elles aussi présentes dans le rapport.

Si l’on peut déplorer, comme le fait le rapport, que jusqu’ici « le monde des adultes [se soit] entendu sur le monde des enfants », donc au détriment de ces derniers, on ne peut que s’étonner que la parole soit autant donnée dans ce même rapport à des adultes extérieurs au monde de l’école (collectivités territoriales en ce qui concerne les transports scolaires), dont certains représentent des intérêts privés : tourisme en ce qui concerne les vacances (citons par exemple Atout France, organisme privé mais opérateur unique de l’État en matière de tourisme, présidé par l’UMP Donnedieu de Vabres), religions pour la question du rythme hebdomadaire, PME au sujet des « partenariats », etc. Voilà certes des gens uniquement préoccupés par le bien-être de l’enfant !

SECOND DEGRÉ

Dans le second degré, la « rigidité » et le « carcan » (les occurrences de ces termes sont innombrables dans le rapport !) que constituent les textes réglementaires en ce qui concerne les horaires des élèves et des enseignants sont bien entendu fustigés, de même que l’ampleur du volume horaire des élèves (pas celui des enseignants, cela va sans dire !). Le rapport va jusqu’à s’en prendre à « la définition du service des enseignants du second degré, qui tend à freiner l’émergence d’un temps scolaire centré sur la réussite des élèves » ! En clair : il faut plus de flexibilité dans les horaires des enseignants. Il est de même préconisé de sortir des cadres nationaux en ce qui concerne les horaires des élèves, afin que les établissements puissent tenir compte de leurs « besoins » (mot qui peut tout justifier…). Les options, notamment les « options rares », sont également attaquées aux motifs qu’elles privent les élèves en difficulté de moyens et qu’elle est un outil de « sélection » pour les établissements. L’hypocrisie est double : d’une part, le ministère, sous la pression gouvernementale, diminue de toute façon les moyens pour les élèves en difficulté en diminuant les DHG ; d’autre part, il est étrange que la « sélection » soit ici mentionnée négativement, alors la concurrence entre les établissements est depuis longtemps une réalité voulue par le gouvernement, qui va en s’aggravant (les attaques contre la carte scolaire n’en constituent qu’un exemple parmi d’autres).

Heureusement, là encore, « l’autonomie » des établissements va nous sauver, et notamment « l’autonomie pédagogique » en lycée. Nous savons pourtant ce qu’il en est : le peu d’« heures globalisées » (prévues dans la réforme des lycées) dont disposeront les proviseurs conduira à la concurrence entre les disciplines, donc entre les collègues, et conduira inévitablement au copinage, surtout si l’on y ajoute la baisse des DHG qui remettra vite en cause, par exemple, les dédoublements de classes à effectifs élevés.

Les bacs professionnels sont montrés en exemples, eux qui depuis 2009 ont intégré une plus grande « souplesse d’organisation » et notamment la « flexibilité des horaires ». Le rapport commente : « Mais on observera qu’elle a été réalisée dans une filière d’enseignement considérée comme moins prestigieuse que la voie générale ou technologique – et de ce fait moins soumise à l’emprise des “lobbys disciplinaires”. » Cette insulte vise-t-elle les associations de professeurs spécialistes ? Que ce soit ou non le cas, elle est inadmissible dans un rapport parlementaire !

On en vient ensuite à l’une des plus graves mesures, celle qui préconise la remise en cause des actuelles obligations réglementaires de services, évidemment dans un sens défavorable aux enseignants. Pour la justifier, il est d’abord recommandé de « donner aux établissements la possibilité de construire des emplois du temps adaptés aux besoins d’apprentissage des élèves », c’est-à-dire de faire sauter les « contraintes » que constituent les définitions des horaires disciplinaires par niveau et par série, ainsi que la « logique hebdomadaire » : l’annualisation des services est évidemment préconisée. Et le rapport de citer « le Danemark, dont les écoles ne connaissent ni dotation horaire globale ni emplois du temps hebdomadaires, ceux-ci pouvant être établis seulement un jour à l’avance et consultés par les élèves la veille, au soir, via internet » ! Un modèle qui se passe de commentaire…

Parmi les rares idées de ce rapport qui semblent positives, signalons celle qui propose d’« intégrer le travail personnel de l’élève dans le temps passé au sein de l’établissement ». Rappelons en effet que le travail à la maison constitue sans doute le plus important facteur de « reproduction sociale » et donc d’injustice scolaire : d’une part, les élèves dont les parents sont culturellement favorisés (par exemple les enseignants !) bénéficient d’une aide privilégiée à domicile ; d’autre part, les familles économiquement favorisées peuvent offrir à leurs enfants des cours particuliers dont les autres élèves ne bénéficient pas. La question se pose alors de savoir si une telle mesure serait de nature à créer des emplois d’enseignants, nécessaires pour encadrer efficacement ce travail en étude. Mais à l’heure des 16 000 suppressions de postes par an dans l’éducation, la réponse ne fait hélas guère de doute ! Il est bien plus probable que, comme le suggère le rapport, c’est en diminuant les heures d’enseignement qu’on libérerait des heures dans les services des professeurs pour qu’ils encadrent ces études.

Les programmes sont la cible suivante du rapport. Comme ceux du primaire, ceux du secondaire souffrent d’« encyclopédisme »… Heureusement, « le socle commun de connaissances et de compétences » est là pour nous sauver ! On nous apprend qu’une connaissance n’a pas de valeur en elle-même. C’est là d’après le rapport l’erreur commise par les actuels programmes, qui « sont aujourd’hui rédigés de manière linéaire, comme une succession de connaissances, sans que les objectifs essentiels soient clairement exprimés. » On touche là un point théorique fondamental. Quel est « l’objectif » d’une connaissance en histoire ou en biologie ? Quel est « l’objectif » de la lecture de La Princesse de Clèves ? Entendez par là : en quoi cela pourra-t-il intéresser un employeur, ou mieux, permettre de créer soi-même son entreprise ? Nous laissons nos lecteurs méditer sur ces questions.

À propos des regroupements d’élèves, on peut lire ce qui est probablement le passage le plus délirant du rapport : « Le développement d’un enseignement dispensé dans le cadre de petits groupes interactifs ne devrait pas exclure celui de “cours magistraux”, rassemblant plusieurs classes, dès lors que la matière se prête à des cours dictés, comme c’est le cas pour l’histoire-géographie. Pour le délégué national de l’UNI-lycées, l’organisation d’enseignements dispensés à soixante, voire quatre-vingts élèves, serait d’autant plus opportune qu’elle les préparerait aux méthodes de travail de l’enseignement supérieur. » Les professeurs d’histoire-géographie apprécieront ! Il faudrait par ailleurs beaucoup de mauvais esprit pour remettre en cause l’honnêteté et l’indépendance de l’UNI-lycée (pour ne pas parler de la valeur de son expertise !), organisation affiliée à l’UNI et dirigée de fait par de jeunes militants UMP…

Le « partenariat » entre l’école et le secteur privé ne pouvait être absent d’un tel rapport. Les PME sont soucieuses, nous apprend un représentant de la CGPME (syndicat de patrons de PME), de contribuer, avec un total désintéressement cela va sans dire, à « la découverte [par les élèves] des métiers et du monde professionnel ». Comment pourrait-on refuser la main qui se tend vers nous avec autant de générosité ?

Est ensuite abordée la question centrale des obligations de service des enseignants et du « temps de présence dans l’établissement ». Le rapport soutient qu’« un service défini par référence au temps de présence de l’enseignant dans l’établissement (…) garantirait, tout au long de la semaine, la présence d’un “vivier”, dans lequel les principaux et les proviseurs pourraient puiser pour faire face aux absences d’enseignants, le dispositif de remplacement actuel laissant beaucoup à désirer. » Si on ne peut qu’acquiescer sur ce dernier point, il faut en rappeler les causes principales : la diminution continue du nombre de TZR et sa conséquence, le recours massif aux enseignants précaires pour les remplacements, le tout avec le moins de “marge de sécurité” possible (c’est-à-dire de TZR en attente de remplacement, ce qui a évidemment un coût).

Ceci s’accompagne bien sûr de l’aménagement du temps scolaire annuel : « on mentionnera ici, “pour mémoire”, la proposition, tout à la fois provocatrice et réfléchie, de M. Philippe Meirieu sur le sujet : prévoir un seul mois de vacances l’été ». En tout état de cause, le raccourcissement des vacances d’été et l’allongement global de l’année scolaire sont qualifiées d’« inévitables ».

La suppression du baccalauréat en tant qu’examen final, bouquet final de ce feu d’artifice de mesures destructrices, est présentée, certes avec prudence, comme une conséquence logique des propositions précédentes, avec à la place un « système d’unités capitalisables sur l’année » (là encore, Philippe Meirieu est invoqué, sans doute comme caution “de gauche”…).

Le gouvernement propose aux organisations syndicales de jouer au jeu dangereux de la « concertation » et de la « négociation ». À Sud éducation, nous estimons pour notre part qu’il faut refuser catégoriquement tout dialogue avec le ministère s’il se fait sur la base d’un tel rapport, qui relève plus de la provocation que de la politique. Le gouvernement cherche manifestement à tester notre capacité de soumission. Ne le décevons pas !