Projets ministériels et gouvernementaux, lois liberticides : Base-élèves, base-écoles, des outils administratifs au service de l’idéologie dominante

lundi 9 mai 2005
par  Sud éducation 66

En février dernier, Sud Education 66 a participé à une réunion dite de « Concertation Base-élèves » organisée par l’inspection académique des P.O. L’I.A. s’est en effet portée volontaire pour expérimenter un nouveau système informatique mis en place par le Ministère de l’Education nationale. L’expérimentation concerne vingt autres départements « pilotes ». Une formation a été imposée (ordres de mission) à de nombreux directeurs d’écoles du département les 16 et 23 mars. En juin, il est prévu un bilan de l’expérimentation, à priori forcément positif puisque le « calendrier national de mise en œuvre » prévoit qu’en 2005/2006 toutes les écoles du département devraient être dotées du logiciel. Toujours d’après ce même calendrier, la globalisation du système est prévue pour 2006/2007. Ainsi d’ici deux ou trois ans, un fichier informatique national des élèves du premier degré devrait être opérationnel.

A la même date se tenait une réunion de « Comité de pilotage –système d’information premier degré » au ministère de l’E.N..(cf . Compte-rendu de cette réunion par l’ANDEV- association de directeurs présents- sur le site http://www.andev.com.fr) Apparemment donc, les réunions sur ce projet étaient généralisées en France… Dans le compte-rendu de cette réunion, on apprend que « l’architecture globale du système d’information premier degré » est en trois pôles : 1 ) Base-élèves 2) Base-écoles 3) Base personnel (à venir). Ce projet ministériel est manifestement très ambitieux : il demande des outils technologiques, des financements et de l’investissement, puisqu’il nécessite pour toutes les écoles un accès internet haut débit, une clé USB, donc des ordinateurs récents. QUI VA PAYER ? Le ministère de l’E.N. financera les raccordements ADSL aux communes non encore raccordées ; localement l’I.A. trouve les relais financiers auprès de l’Association des maires, qui s’engage à apporter son soutien pour la formation du personnel communal et des agents territoriaux concernés par le projet.

Ambitieux ce projet l’est aussi puisque la seule mise en place de Base-élèves ne semblait pas suffisante : toujours d’après le CR de l’ANDEV, Base-école et (ultérieurement ?) Base-personnel participeraient de la construction d’un système d’informations premier degré pour mettre en œuvre la Loi Organique relative aux lois de Finances (L.O.L.F.), autrement dit pour répondre aux objectifs affichés par la L.O.L.F. du passage d’une « Culture de moyens à une culture des résultats » (source : http://www.minefi.gouv.fr/lolf)

Objectifs, Résultats, Evaluations/notations, mise au point « d’Indicateurs de performance » pour chaque établissements (ou écoles en E.PE.P !), de grilles de salaires au mérite pour les enseignants, c’est bien le management appliqué au service public de l’Education nationale que visent les projets ministériels de Base-élèves, Base-écoles et (éventuellement) Base-personnel.

A noter d’ailleurs pour Base écoles : le découpage de l’enseignement en cycles et non pas en deux écoles, qui entérine une fois pour toute la disparition des petites et moyennes sections de maternelle et officialise DE FACTO la mise en fonctionnement des E.P.E.P. (en 2003, nous dénoncions les « réseaux d’écoles » !)

Pour en revenir à Base-élèves, les essais réalisés lors des journées de formation des directeurs d’écoles nous donnent une idée plus précise des données qui seront saisies informatiquement pour chaque enfant de nos écoles. Soulignons au passage que ces « exercices pratiques » de manipulation du logiciel ont été réalisés à partir de données nominatives réelles, d’enfants actuellement scolarisés dans les écoles « pilotes » du département, et ce sans aucune information et sans demande préalable d’autorisation auprès des parents concernés ! Le dossier informatique d’un élève est conçu en plusieurs volets. Les volets « Etat Civil » de l’enfant et des parents (ou responsable légal) seront partagés avec les services communaux (mairie/inscription). Y sont consignés les identités, les adresses, les numéros de téléphone domicile / portables / travail, professions des parents mais aussi les « origines géographiques de l’enfant » (pays d’origine, date d’arrivée en France).

Un volet « Cursus scolaire » donne état 1) des éléments de scolarité actuelle de l’élève : cycle, niveau, classe, nom de l’enseignant, proposition à l’issue du cycle, absentéisme signalé, mais aussi langue vivante, nom de l’intervenant, langue et culture d’origine 2) des informations périscolaires (cantines, études, garderies….) 3) de la scolarité précédente (écoles antérieurement fréquentées, départements…).

Enfin, un volet « Besoins Educatifs » consigne toutes les données personnalisées de l’enfant, qui jusqu’ici restaient confidentielles : suivis R.A.S.E.D., projet d’accueil individualisé, intégration en CLIS, Auxiliaires de vie scolaire, CCPE, SAPAD, hôpitaux de jour etc…

Chaque directeur n’aura accès qu’aux données personnalisées des élèves de sa commune (secteur scolaire). L’I.E.N. aura accès aux données personnalisées des élèves de sa circonscription. L’I.A. aura accès aux données personnalisées et confidentielles de tous les élèves du département, ce qu’il traduit en disant « Je suis la plus grande source d’information sur l’Immigration » ! ( propos rapportés à l’I.A. lors de la réunion de février). La sécurisation se fait à chacun des niveaux par clé U.S.B. Au-delà de ces acteurs locaux (directeur, mairie, I.E.N, I.A.) Rectorat et Ministère n’ont accès qu’à des données anonymées : chaque élève étant doté d’un matricule « Identifiant National Elève », dans le but d’ « une gestion administrative de statistiques académiques et nationales » ( sources : plaquette Ministère E.N. cf. site www.sudeducation66.org documents « base-élèves ») : Evaluations ? Statistiques sur les enfants en difficultés scolaires ? Sur l’immigration ?

« Bénéficier d’un outil de gestion et de pilotage », nous dit le ministère de l’E.N. (ref.idem)

70% des directeurs utilisent déjà l’informatique : logiciels privés ou conçus par les directeurs eux-mêmes ; mais les données restent INTERNES à l’école. Pourquoi le fichage des enfants de nos écoles devient-il national ? Toutes les données seront centralisées à Orléans : quelles administrations y auront concrètement accès ?

« Le suivi des élèves sera plus efficace, notamment grâce à un historique de la scolarité de l’enfant intégrant certaines informations comme le suivi Rased, les PAI ou le signalement de l’absentéisme », nous dit encore le ministère. (ref. idem)

C’est bien cet « historique de la scolarité » qui doit nous interpeller, nous alerter.

« L’avant-projet de loi sur la délinquance de Sarkozy projetait de considérer comme potentiellement délinquante toute « personne présentant des difficultés sociales, éducatives ou matérielles ». En conséquence, il fallait la signaler à la police via le maire intronisé pilote de la prévention, et cette injonction s’étendait à tout professionnel de l’action sociale, au mépris du droit des usagers en matière de secret professionnel. La jeunesse, notamment celle issue de l’immigration, se trouvait également montrée du doigt, et tout élève absent de l’école devenait un délinquant potentiel, lui aussi à signaler au maire ou au procureur. Une approche, répressive et stigmatisante tendait à se substituer à une approche éducative ou sociale des difficultés de la population » (« Mobilisation contre des méthodes et un projet inacceptable »)

Depuis juin 2004, VILLEPIN annonce un projet de loi : malgré le changement de ministre le projet reste dans l’esprit. « Le gouvernement, relayé par des administrations et certaines collectivités locales, met en place, tous les jours, sous prétexte d’expérimentations, des dispositifs qui constituent tous des atteintes aux libertés publiques et des remises en cause des fondements du travail social, éducatif (fichage nominatif des populations, organisation de la délation…)

La lutte contre l’échec scolaire n’existe plus quand « tout est vu à travers le prisme de la délinquance potentielle… Après avoir supprimé les surveillants et réduit les effectifs d’aides-éducateurs, le protocole « Police/Education nationale » a instauré, pour chaque établissement, un « correspondant-police » » (sources : C.N.U)

Et puis il y a le fameux « rapport BENISTI » : ce rapport, remis à VILLEPIN dans le cadre du travail ministériel autour de ce projet de prévention, confirme toutes nos craintes !
« La politique de prévention doit remplir un objectif d’efficacité qui passe par le renforcement des échanges d’informations entre les différents acteurs qui entourent les jeunes : les parents, le corps enseignant, les éducateurs, les élus locaux, la police… » (cf.rapport BENISTI)

Ce rapport fait de manière insidieuse un amalgame entre « délinquance » et « famille issues de l’immigration ». Un enfant peut commencer à avoir des « comportements déviants » quasiment dès la naissance. Un déterminisme notamment social écarte inexorablement du « droit chemin » et entraîne par « un parcours déviant » vers la délinquance. La mère non-francophone d’un enfant de 2 ans se trouve désignée comme facteur de risque : « Elle devra s’obliger à parler le Français dans le foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer… » (ref ; idem)

Si la famille continue à « parler le patois du pays d’origine » « l’enseignant devra alors en parler aux parents pour qu’au domicile, la seule langue parlée soit le français ; si cela persiste, l’institutrice devra alors passer le relais à un orthophoniste pour que l’enfant récupère immédiatement les moyens d’expression et de langage indispensables à son évolution scolaire et sociale …. Si le comportement de l’enfant est indiscipliné et crée des troubles dans la classe, l’enseignant pourra alors passer le relais à une structure médico-sociale (???) …ces suivis sociaux réguliers devront aussi permettre à l’enfant d’être élevé dans une atmosphère saine » (sic ! ref. Rapport BENISTI)

Le maire doit, bien sûr, être au courant de tout cela, et « il faut [donc] redéfinir la notion de secret professionnel et créer une culture du secret partagé » (ref. idem) …avec la police ?

Evidemment la déviance, si elle persiste, mène tout droit à l’internat ou centre fermé…
(cf. « Courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure des années s’écarte du « droit chemin » pour s’enfoncer dans la délinquance » doc.annexé)

On ne peut rester indifférent à l’idéologie sous-jacente qui motive ces propositions.

Que deviennent les missions d’Intégrations éducatives et sociales de l’Ecole ?

Pour la FCPE « Ces considérations font froid dans le dos. ..Pourtant, tout cela est cohérent avec les actions engagées par le gouvernement. On retrouve un état d’esprit proche dans les projets de « contrats individuels de réussite éducative » de F.FILLON et « d’équipes de réussite éducative » de J.L.BORLOO –loi de cohésion sociale-. Dans tous les cas, les enfants « difficiles » sont écartés du système scolaire traditionnel et la responsabilité porte uniquement sur les familles » (sources : communiqué FCPE)

Ni les parents, ni les personnels de l’Education nationale ne peuvent cautionner ces projets gouvernementaux qui pré-supposent une société basée sur l’exclusion et la criminalisation de la misère : Base-élèves et Base-écoles sont pourtant des « outils de gestion administrative » qui contribueront, si nous ne les dénonçons pas et si nous ne les combattons pas, à promouvoir un tel modèle de société.

Françoise Barrere-Torres