Bac à la carte : inégalités au menu !

lundi 19 mars 2018
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

Après avoir participé comme directeur de l’enseignement scolaire (DGESCO) à la dernière réforme du bac sous le ministère de Luc Chatel, Jean-Michel Blanquer a décidé de réformer sa réforme. La précédente devait permettre de lutter contre les inégalités. Elles se sont accrues. Il faut donc la réformer. Ce mouvement de réforme qui use toujours des mêmes mots d’ordre pour un résultat toujours contraire aux annonces n’a-t-il pas de tout autres objectifs ?
D’abord, réaliser la promesse électorale du président de réduire à quatre les épreuves au baccalauréat. Pourquoi quatre et pas trois ou cinq ? Pourquoi parler de quatre épreuves alors que l’épreuve anticipée de français, écrit et oral conduit à six épreuves ? L’essentiel est la promesse du candidat devenu président. Cette pensée théologico-politique montre que l’intérêt des élèves et de leur famille est loin d’être essentiel.
Ensuite, faire des économies. Sur l’organisation du baccalauréat. Moins d’épreuves, c’est moins de copies à rémunérer, c’est faire porter le coût de l’examen sur les professeurs dont les salaires sont gelés par ailleurs. Travailler plus pour gagner moins est le slogan de l’ancien thuriféraire de Sarkozy. Sur l’organisation du lycée. Un tronc commun de seize heures en première et en terminale, c’est nécessairement faire des économies de postes puisqu’il n’y aurait plus de classes. Un sociologue expert réussira certainement à prouver, statistiques à l’appui, qu’on réussit mieux dans les classes à forts effectifs que dans les classes à faibles effectifs.
Enfin, c’est organiser le lycée sur la base du projet de sélection à l’université, dit Parcoursup, projet de sélection qui conduira à individualiser les parcours en apparence pour faire porter l’échec sur les individus qui auront fait les mauvais choix. En effet, les élèves et leurs familles auront la responsabilité du menu des spécialités puisque les séries sont supprimées. Trois spécialités en première, deux en terminale : il ne faudra pas se tromper en fonction du projet. Et tant pis pour ceux qui entre 16 et 17 ans auront changé. Ainsi, c’est dès le lycée que l’élève choisit son futur parcours universitaire, et donc son succès ou son échec. La contre-réforme Blanquer du lycée a clairement pour objectif de réaliser le continuum bac -3 / bac +3 qui amène à traiter un adolescent de 15 ans comme un jeune adulte de 20 ans. En outre, l’élève sera d’autant plus responsable que ses notes de première, y compris les notes de français, et de terminale acquises soit lors des partiels (30  %) du baccalauréat, soit dans le cadre du contrôle continu (10  %) et des examens du printemps sur les deux spécialités de terminale (une partie des 60  % des évaluations terminales), entreront dans le dossier de Parcoursup. Tant pis pour ces élèves qui arrivaient progressivement à acquérir méthode et connaissance et qui réussissaient leur examen final. Tant mieux pour ceux qui pourront se payer les cours particuliers pour réussir chaque petit examen qui ponctuera la scolarité. Le lycée se transforme en machine de sélection pour l’entrée à l’université. Et comme la part de 40 % hors examen terminal n’est pas à négliger, il est clair que des bacs maison, différents selon la réputation des lycées, pourront voir le jour – y compris et surtout du côté du pseudo privé ou privé sous contrat que financent les deniers publics.
La logique du choix laissé aux élèves apparaît séduisante sur le papier. Mais elle se heurte aux réalités budgétaires. Rien ne permet de dire que tous les lycées offriront réellement toutes les spécialités. On évoque en ce sens la possibilité que des élèves aillent suivre une partie de leurs cours dans d’autres lycées qui seront organisés en réseau comme des universités. On imagine la facilité de ce genre de démarche pour certains lycées éloignés de dizaines de kilomètres d’autres lycées dans certaines zones rurales. On imagine surtout les facilités de transport pour les élèves des classes populaires et des zones rurales.
Dans le même temps, la logique du choix laissé aux élèves accroît la pression sur les professeurs et la mise en concurrence des lycées, des disciplines, voire des professeurs. Concurrence des lycées pour offrir le plus grand choix et/ou pour offrir les choix les plus courus. Concurrence des disciplines pour attirer les meilleurs élèves et/ou pouvoir se positionner dans la course à l’enseignement supérieur. Concurrence des professeurs pour obtenir les spécialités, les conserver, prendre les nouvelles spécialités aux contours flous.
Cette concurrence ne peut que conduire à une dégradation des conditions de travail. De la même façon que les élèves pourraient se promener de lycée en lycée, les professeurs le pourront tout autant. Le choix des élèves conditionnera les moyens attribués à chaque discipline pour les spécialités ou les options de façon encore plus importante qu’aujourd’hui dans la mesure où les séries disparaissent et que les élèves et leur famille sont censés faire leur marché. Les couplages des dix spécialités, sont, en droit, au libre choix des familles. À quoi s’ajoute la possibilité de la bivalence, voire de la multivalence que montrent certaines spécialités : humanités, littérature et philosophie ; numérique et sciences informatiques ; histoire géographie, géopolitique et sciences politiques.
Cette double possibilité rend le futur lycée illisible. Le nombre de places dans les spécialités pourra être opposé aux élèves de même que le manque de choix de certaines spécialités pourra être opposé aux professeurs pour les suppressions de postes ou les compléments de service à faire dans les autres établissements. Les inévitables problèmes d’emploi du temps que pourront compliquer des répartitions entre lycées pourront être opposés aux choix de certains élèves ou aux desiderata de certains professeurs. Au moment de ces premières analyses, le flou de certaines spécialités annonce même de possibles conflits entre professeurs pour savoir qui est compétent. Il en va ainsi des «  Humanités scientifiques et numériques  ». Selon qu’on mette l’accent sur tel ou tel sujet, les compétences des professeurs de différentes disciplines, mathématiques ou philosophie par exemple, pourront être mises en avant.
S’il est vrai que la part des sciences dites dures (mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la terre) diminuent globalement par leur exclusion du tronc commun, rien n’interdit que se reconstitue l’ancienne hiérarchie des séries qui voyait la terminale C, puis la terminale S, être la terminale permettant le plus grand choix possible dans les enseignements.
La contre-réforme Blanquer accroît les effets déjà observés de la contre-réforme Chatel qui elle-même accroissait les effets des précédentes contre-réformes. L’objectif principal est de créer un système scolaire conforme à l’idéologie néolibérale. Des individus prétendument autonomes choisissent en toute «  liberté  » sur un marché ouvert : leur échec ou leur succès est leur responsabilité ou la faute du hasard. Toute tentative de construire une société solidaire où la collectivité prend en charge ce qui est de l’ordre du collectif en permettant à chacun de participer aux décisions collectives est pour une telle idéologie un conservatisme à éliminer.
Comment, avec ces séries de contre-réformes, l’école, qui repose sur la solidarité entre générations, pourrait-elle ne pas être détruite ?