Edito - Blanquer et les valeurs républicaines... Vraiment ?

lundi 31 janvier 2022
par  Sud éducation 66

Christopher Pereira
Pendant encore combien de temps le monde enseignant acceptera-t-il de se faire traiter avec un tel mépris par son ministre de tutelle ? La longévité de Jean-Michel Blanquer et l’absence de mobilisation forte des professeurs étonnent. Pourtant, ça râle, en salle des profs ! Les salaires, le manque de moyens, les difficultés quotidiennes du métier, l’épuisement professionnel, tout y passe mais sans pour autant critiquer directement la politique éducative du gouvernement. Or, on ne peut attendre de réel changement dans l’école sans accuser directement les responsables de notre mal-être.

Qui, du ministre Blanquer ou des enseignants, ne respecte pas les valeurs de la République ?

Le 19 octobre, le ministre de l’Éducation nationale a présenté son plan de formation à la laïcité, dans la ligne radicale du rapport Obin et après avoir dissous l’Observatoire de la laïcité en juin 20211. Jean-Pierre Obin s’étonnait déjà que « parmi les valeurs de la République, beaucoup citent la lutte contre les discriminations, ce qui fait, selon lui, le jeu de l’idéologie victimaire2 ». Dans la même lignée, et en accentuant le trait, Blanquer se sert de l’assassinat de Samuel Paty pour développer une vision excluante de la laïcité tout en menaçant les professeurs3 : soit vous enseignez les valeurs de la République, soit vous quittez l’enseignement ! Pourtant, comme nous l’affirmons chez SUD éducation, c’est bien le ministre – et le gouvernement – qui a un problème avec les principes qu’il dit défendre4 :
- la liberté, notamment syndicale, mise à mal par plusieurs années de répression généralisée et d’autoritarisme ;
- l’égalité, foulée au pied notamment par la mise en œuvre de la casse du baccalauréat national, la réforme des lycées et Parcoursup ;
- la fraternité, remise en cause par des années de discours haineux et stigmatisants de la part du ministre, par les expulsions de familles de sans-papiers et en bafouant le droit à la scolarisation des mineur·e·s étrangers et étrangères.
Et c’est ce même ministre qui ne respecte pas la laïcité comme il le devrait :
- en augmentant chaque année la part du privé dans le budget de l’Éducation nationale, au détriment de l’enseignement public ;
- en intégrant des établissements de l’enseignement privé catholique dans les expérimentations à venir de l’Éducation prioritaire ;
- en publiant une campagne d’affichage qui dévoie la laïcité sur des bases racistes et islamophobes ;
- en prenant des positions publiques contraires aux dispositions de la loi et du statut de la fonction publique sur la laïcité, concernant l’accompagnement des sorties scolaires par les parents d’élèves notamment.
Or, la laïcité, elle est d’abord du côté de celles et ceux qui défendent l’école publique et les valeurs républicaines au quotidien malgré une absence de soutien totale de leur administration. Pour cela, nul besoin qu’un ministre vienne en plus menacer les personnels ! Est-ce cela, l’« École de la confiance », M. Blanquer ?
Qui, du Figaro ou des enseignants, endoctrine les citoyens ?
Comme si le mépris du ministre n’était pas suffisant, il ne manquait plus que le Figaro Magazine viennent salir notre métier en affirmant dans sa Une du 12 novembre que l’école, sous couvert d’antiracisme et d’« idéologie LGBT+ », « endoctrine nos enfants ». Une telle attaque est révoltante à plusieurs niveaux5 :
- en faisant passer la lutte contre le racisme, l’homophobie et les discriminations en général pour du militantisme qui n’aurait pas sa place à l’école, cette presse se rend complice de ce qui relève de délits qui tombent sous le coup de la loi.
- en accusant publiquement les personnels de l’Éducation nationale qui appliquent les programmes et font respecter les valeurs de la République « d’endoctrinement », elle les jette en pâture à l’opinion publique.
Comment en vient-on de façon ahurissante à une telle inversion des valeurs, quand, comme le dénonce François Jarraud, le fait de lutter contre le racisme, de condamner le colonialisme et d’apprendre aux enfants la tolérance devient plus que des accusations mais la dénonciation d’un complot « bien organisé6 » ?
Le fond même de l’article, basé sur des sources anonymes, des amalgames douteux et un parti pris idéologique constant, va à l’encontre de ce qui fait le fondement même de notre profession : enseigner des contenus validés scientifiquement, apprendre à réfléchir par soi-même, développer son esprit critique, acquérir des outils pour comprendre le monde.
Une telle attaque envers l’institution qu’il dirige devrait normalement susciter une condamnation ferme de la part du ministre de l’Éducation nationale. Il n’en est rien et ce n’est pas étonnant tant cette propagande se situe dans la droite ligne idéologique de Jean-Michel Blanquer. À ce titre, la présence d’un article de Souâd Ayada, présidente du Conseil supérieur des programmes nommée à ce poste en 2017 par Blanquer7, met particulièrement en lumière le lien entre cette communication et l’équipe du ministre.

Comme le déclare dans son récent communiqué l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie : « L’école idéale n’existe pas et la nôtre est perfectible. Mais on ne peut pas tout lui demander et tout lui reprocher alors qu’elle subit de plein fouet les conséquences des choix politiques aux divers niveaux de décisions, et ce, depuis trente ans. Encore moins clouer au pilori celles et ceux qui la font tenir8 ». Face à ce qui s’apparente de plus en plus à une guerre idéologique, il est plus que jamais nécessaire de réaffirmer, et de défendre, une école publique laïque, gratuite, et émancipatrice. Cela passe encore et toujours par la lutte contre toutes les formes de discrimination à l’école mais aussi contre toute forme d’obscurantisme, y compris de la part de nos gouvernants.


1. « Fin de l’Observatoire de la laïcité : On dérange parce qu’on est indépendant, estime Jean-Louis Bianco », www.franceinter.fr, 4 avril 2021.
2. Bénis Olivier, « Plan pour la laïcité à l’école : Blanquer annonce quelques mesures et réaffirme sa vision », www.franceinter.fr, 15 juin 2021.
3. Jarraud François, « Laïcité : Blanquer menace les professeurs », www.cafepedagogique.net, 20 octobre 2021.
4. Communiqué de SUD éducation en date du 21 octobre 2021.
5. Communiqué de SUD éducation en date du 12 novembre 2021.
6. Jarraud François, « Figaro Magazine : La droite attaque l’Ecole », www.cafepedagogique.net, 15 novembre 2021.
7. Suite à la démission du géographe Michel Lussault « pour essayer d’arrêter le jeu qui est lancé depuis quelques semaines et qui consiste à agiter des sujets et à satisfaire les bas instincts d’une clientèle politique ».
« Éducation nationale : le président du Conseil supérieur des programmes démissionne », www.francetvinfo.fr, 26 septembre 2017.
8. « La Haine en rafale », communiqué de l’APHG, www.aphg.fr, 16 novembre 2021.