CHRONIQUE D’UNE DÉFAITE ANNONCÉE

mardi 15 juin 2010
par  Sud éducation 66

Par Patrice Bégnana

Cette année scolaire qui s’achève aura été marquée par une nouvelle défaite de l’enseignement public :

La suppression massive de postes à peine compensée par l’accroissement de la précarité a continué. Elle s’accompagne dorénavant d’une augmentation des effectifs d’élèves. Même si le privé sous contrat voit ses effectifs de personnels moins baisser proportionnellement, il y a bien baisse. C’est donc l’investissement public dans l’enseignement qui est d’abord la cible des gouvernements néolibéraux. Et bien évidement, l’enseignement public est en ligne de mire.

La réforme du lycée suit la logique de celle qui avait eu lieu dans le primaire, la caution idéologique conservatrice en moins. Les horaires d’enseignement sont diminués au profit de nouvelles heures de soutien ou d’accompagnement personnalisé. Qui ne voit le cercle vicieux pour les élèves en difficulté ? Apprendre en moins de temps et donc avoir d’autant plus besoin d’une remédiation.

Cet accompagnement personnalisé dans la pénurie actuelle instaure un grand flou renforcé par la volonté du ministre de faire organiser son contenu par les équipes. Une telle démarche est un piège grossier. L’échec de la réforme pourra être mis sur le compte des équipes qui n’auront pas su proposer les bonnes mesures.

En outre, se met ainsi en place l’autonomie des contenus d’enseignement, pierre angulaire de l’autonomie des établissements. Elle se substitue à l’autonomie pédagogique dont il faut rappeler qu’elle consiste à laisser chaque enseignant libre de déterminer par quelle méthode il fait accéder tous les enfants au même contenu.

La masterisation transforme la formation des enseignants en un dispositif kafkaïen. Des précaires non formés pourront remplacer des stagiaires partant se former après avoir commencé à enseigner ou des professeurs tuteurs occupés par leur stagiaire. L’intérêt des élèves qui verront ainsi un joyeux défilé de professeurs n’est certainement pas le souci de nos dirigeants.

Pourtant l’idée sous-jacente est que pendant leur master, les étudiants feront des stages pour se former à enseigner. Dès lors, le master apparaît comme un diplôme professionnel. Répétons qu’on prépare ainsi un recrutement direct par le chef d’établissement. Pour les sceptiques, il suffit de se référer au discours de Nicolas Sarkozy du 6 mai dernier dans lequel il annonce qu’à la rentrée 2010, dans une centaine d’établissements difficiles, les chefs d’établissements pourront recruter les professeurs sur la base d’une liste de volontaires. Le prétexte, stabiliser les équipes pour lutter contre la violence quand toutes les prétendues réformes l’attisent, cache à peine une vieille idée selon laquelle en tant que chef d’entreprise, le principal ou le proviseur devrait recruter ses salariés.

Un courrier du recteur de l’académie de Montpellier adressé aux chefs d’établissement pour leur indiquer la marche à suivre pour constituer des rapports en vue de sanctionner les personnels se situe dans l’anticipation de ce qui nous attend. Parmi les cas retenus, on relèvera les professeurs coupables d’être l’objet de plainte des élèves et des parents, les professeurs coupables de porter atteinte à l’image de l’institution ou les professeurs coupables d’insubordination vis-à-vis de la hiérarchie. Qui demain ne rentrera pas dans ce genre de cas ?

Dans le même temps, on portait à la connaissance du public un document édifiant. Le ministre énonçant comment supprimer des postes de fonctionnaires. Relevons notamment la suppression des RASED que Darcos avait programmée et sur laquelle il avait fait semblant de reculer. Relevons aussi la diminution des remplaçants titulaires au profit de remplaçants vacataires. Du recteur au ministre, un seul objectif : vider les rangs de fonctionnaires.

Ces différentes mesures dessinent le cadre de cette privatisation de l’éducation dont le cadre national disparaît peu à peu au profit de la logique de l’entreprise et d’une conception de l’éducation comme processus de formation du capital humain. Elles s’inscrivent dans une longue série où le néolibéralisme se pare des atours de la modernité, de la réforme quand ce n’est pas de la lutte contre les inégalités.

Face à ce processus, force est de constater que la lutte peine à s’organiser, qu’elle est non seulement molle mais que les raisons qui poussent les uns et les autres à s’opposer aux “réformes” sont différentes voire opposées. Lorsqu’elle s’engage, elle ne gagne que le recul provisoire des “réformes” comme celui qu’ont obtenu les lycéens pour la rentrée 2009. Inexorablement, comme la montée de niveau de la mer, la déferlante néolibérale semble tout entraîner sur son passage.

Cette chronique d’une défaite annoncée se veut un constat pour contribuer à dégager les enjeux de ce qui se produit. Il importe surtout de ne pas se faire d’illusion sur les nobles motifs qui recouvrent en réalité le projet réfléchi de privatisation et de marchandisation de tous les aspects de l’existence humaine qu’est le néolibéralisme.

Le repli individualiste est une tentation dont il faut se garder. Non seulement il est ce que recherche le néolibéralisme, mais il est une erreur. En effet, la promesse de promotion individuelle, voire d’enrichissement relatif par le biais de la défiscalisation des heures supplémentaires ou le partage des gains obtenus par la suppression des postes ne peut résister au projet de fond qu’est la privatisation. Le processus engagé est le même que celui qui fut engagé à France Telecom ou à la Poste. Le repli individualiste, c’est la défaite de chacun et pour tous.

Seule la solidarité des personnels constante, vigilante et inconditionnelle peut créer les conditions d’exercice de nos métiers en ces temps de turbulence. Seule la solidarité entre les personnels dans la lutte, locale et globale, peut permettre de résister, voire de renverser ce processus.