École à vendre

jeudi 7 octobre 2004
par  Sud éducation 66

Notre école vit au-dessus de ses moyens.

Les préoccupations actuelles des enseignants l’attestent : financer les transports à la piscine, trouver l’encadrement suffisant à la pratique du ski alpin, dénicher un parent capable de diffuser les dessins des élèves sur le web...
Comme si la logistique devenait une compétence pédagogique indispensable aux enseignants modernes.

Cela témoigne de la volonté de bien faire mais trahit aussi un sentiment de culpabilité face à la pression des parents d’élèves trop prompts à comparer deux écoles sur les seuls critères de l’offre sportive ou artistique. Ajoutons parfois la pression des élus, soucieux que leur école ait bonne presse.

Récemment, une nouvelle forme de pression est apparue dans certaines académies ou certaines circonscriptions, chaque fois que les hiérarques-gestionnaires avaient pour eux-mêmes des ambitions professionnelles.
Cette pression s’exerce de manière insidieuse et est capable de discréditer les enseignants désireux que l’école continue à transmettre des savoirs et des savoir-faire (et dont parfois la rigidité est capable de générer plus d’échec scolaire que de réussite).
Une formule empruntée à Sacha Guitry, grand homme de théâtre (!) la résume à merveille : « savoir, savoir-faire, faire-savoir ».
Contrairement à ce qu’il pourrait sembler, il ne s’agit pas d’un oxymore du roman 1984 d’Orwell, mais une phrase énoncée dans une réunion professionnelle.

Après l’hégémonie de la psychologie cognitiviste et les dérives pédagogistes (qui font de la pédagogie une « science de l’éducation »), une nouvelle dérive a fait son apparition dans l’institution scolaire ; elle a pour nom le « faire-savoir ».
Nier à ce point l’influence sur le très long terme des apprentissages et des maîtres est inquiétant.
Evaluer une pratique dans l’instant est dangereux.
L’effervescence supplante l’activité. Le nombre de spectateurs devient un outil d’évaluation. La rubrique locale du journal, un support imposé pour que l’élève laisse les traces de son apprentissage.

Aux antipodes de la sanctuarisation de l’école souhaitée par certains pour lui conserver sa fonction originelle, l’institution scolaire, du Ministre à l’Inspecteur de base, montre cette voie.
Qu’il est handicapant pour un système éducatif de se lancer dans la compétition mondiale avec le statut de favori !
La mise en place des langues étrangères et de l’informatique sont les témoins les plus évidents des mystifications indispensables à la conduite de politiques éducatives axées sur le « faire-savoir »

Ces idées sont-elles l’expression d’une mauvaise analyse faite par des enseignants à la traîne de l’innovation pédagogique ?
Observons quelques activités scolaires...
Est-il encore possible d’organiser une quelconque exposition de dessins d’élèves sans que le Conseil Général ne dépose son emblématique logo ?
Un concours de poésie, et deux établissements bancaires sont mentionnés sur le programme.
Un diaporama sur l’arbre de la cour, et le Parc Naturel Régional s’affiche.
Une course à pied, et les supermarchés du secteur transforment les élèves en supports publicitaires animés.

Au final, un cocktail détonnant dans lequel l’élu local soucieux de sa propre communication devient un mécène philanthrope et les entreprises du secteur des partenaires indispensables au mieux-disant pédagogique.
La social-démocratie avait transformé l’école en faire-valoir, en outil électoral. Au point que les libéraux préfèrent démanteler l’institution scolaire car politiquement irrécupérable.
Or les dérives libérales que nous venons de décrire sont visiblement très ancrées dans les mentalités françaises. Y compris dans celles des enseignants.
Elles mettent en place les conditions favorables à une marchandisation de l’école.

Avec le désengagement de l’État dans le financement des politiques éducatives et le transfert de charge électoralement très favorable aux élus locaux, combien de temps l’école pourra-t-elle continuer à fonctionner en vivant au-dessus de ses moyens ?
Malgré leur hostilité affichée au libéralisme, en cédant à ces pressions, les enseignants eux-mêmes ne sont-ils pas en train de compromettre l’avenir de l’école ?

Michel Clar