Écrans de fumée

samedi 12 mars 2016
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

Alors que la contestation de la contre réforme du collège ne faiblit pas, la ministre de l’éducation a montré tout son mépris des personnels de l’éducation en refusant de recevoir les représentants des syndicats qui avaient appelé à la grève le mardi 26 janvier 2016. Pendant que le premier ministre recevait les taxis, que les paysans recevaient une écoute favorable, l’ensemble du gouvernement faisait comme si des dizaines de milliers de personnels de l’éducation en grève n’étaient rien.

Mais peu après, des mesures fondamentales étaient prises. D’abord la réactivation d’une prétendue réforme de l’orthographe concernant 3 à 4% du lexique qui permettra pour les mêmes mots deux graphies. Qu’on puisse écrire « nénuphar » ou « nénufar » devrait effectivement apporter une solution dès la rentrée prochaine aux sureffectifs, aux salaires en baisse, à l’usine à gaz des EPI, etc.

Ensuite, la ministre, sous l’impulsion décisive du chef de l’État, proclamait 2016 année de la Marseillaise. Les professeurs sont donc appelés à travailler autour du mot d’ordre « qu’un sang impur abreuve nos sillons ». Là encore, on se demande comment vont être résolus les nombreux problèmes de l’enseignement.

Dans le même temps, les DHG montrent ici ou là de totales aberrations. Sur le plan national, la réforme du collège conduit à supprimer les classes bilangues ou européennes dans des proportions variables avec une exception notable : Paris. Comme la ministre n’a cessé de dénoncer dans ces classes un élitisme de mauvais aloi, on comprend que les actes du gouvernement sont strictement contraires à son discours. Il lutte sérieusement pour le renforcement des inégalités. Et plus cette lutte est féroce, plus sa prétention bavarde à faire le contraire s’étale dans les médias.

C’est ce que montre le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires déjà adopté par le Sénat le 27 janvier 2016 qui définit pour le fonctionnaire une obligation problématique. En effet, son article 25 stipule que « Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, réserve, intégrité et probité. » Le mot “réserve” qui se glisse au milieu de termes assez évidents – comment pourrait-il en aller autrement ? – vise purement et simplement à empêcher toute opinion non conforme à la ligne gouvernementale (ou locale) pour les millions d’agents des trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière). Ce projet liberticide montre donc que les discours sur les valeurs de la république masquent une tout autre volonté, celle d’un pouvoir qui impose une idéologie.

C’est ce que montre nettement le projet de réforme du droit de travail. L’écran de fumée, c’est le chômage. Le courageux gouvernement ne renonce pas à lutter contre ce fléau. Et bien sûr, un gouvernement si soucieux de l’intérêt général ne peut que proposer des mesures d’une autre valeur sociale. Or, le projet de loi prévoit, au moment où j’écris ces lignes, que des apprentis de moins de dix-huit ans puissent faire des journées de dix heures. Le texte stipule : « À titre exceptionnel ou lorsque des raisons objectives le justifient, dans des secteurs déterminés par décret en Conseil d’État, l’apprenti de moins de 18 ans peut effectuer une durée de travail quotidienne supérieure à huit heures, sans que cette durée puisse excéder dix heures. Dans ces mêmes secteurs, il peut également effectuer une durée hebdomadaire de travail supérieure à trente-cinq heures, sans que cette durée puisse excéder quarante heures. (…) L’employeur informe l’inspecteur du travail et le médecin du travail. » Actuellement, un apprenti ne peut travailler plus de huit heures par jour et trente-cinq heures par semaine. C’est l’inspecteur du travail qui peut accorder une dérogation de cinq heures par semaine, il n’est pas simplement informé par l’employeur. On peut chercher, on ne trouvera aucune valeur de la république dans cet article où le pur intérêt économique se montre dans toute sa froideur. Rappelons que la loi du 22 mars 1841, ordonnée par Louis-Philippe, roi des Français, après le vote des chambres, avait commencé à limiter le travail des enfants. Il est vrai que selon l’article 2, pour les enfants de 12 à 16 ans, il ne pouvait excéder douze heures. Le gouvernement semble avoir encore une bonne marge de manœuvre. Finalement, le but ultime de ce gouvernement ne serait-il pas de permettre de localiser Nike en France au détriment du Bangladesh ?