Edito - Blanquer, ton école, on n’en veut pas !

lundi 20 septembre 2021
par  Sud éducation 66

Christopher Pereira

Chez SUD éducation, on commence à avoir l’habitude. Depuis quelques mois, les cas de répression syndicale s’accumulent. Au hasard, on retrouve nos camarades de Melle, de Bobigny, de Toulouse, dans une dynamique encore jamais vue auparavant. Il faut dire que depuis 2017 nous avons à la tête de l’Éducation nationale un ministre qui se distingue par une politique particulièrement néo-libérale et réactionnaire. Au service de cette idéologie, il n’hésite pas à attaquer notre syndicat dans les médias. Ainsi, le 20 février 2021, M. Blanquer contribue aux amalgames et au confusionnisme en mêlant un supposé « islamo-gauchisme » avec les ateliers en non-mixité organisés par SUD éducation 93 lors d’un stage en 2017. Pour rappel, en avril 2018, le ministre avait porté plainte pour discrimination contre ce stage. Il avait notamment été applaudi par Marine Le Pen à cette occasion. Or, cette plainte a été classée sans suite par la justice1… Malgré tout, M. Blanquer persiste dans ses attaques anti-syndicales !

Ces attaques sont le produit d’une communication réfléchie au service d’une idéologie conservatrice. Un petit bilan de l’action du ministre depuis 2019 permet de voir se dessiner les contours de cette idéologie. Il a en effet multiplié les sorties scandaleuses alimentant les polémiques stigmatisant les personnes musulmanes ou supposées telles. Il a notamment été démenti par ses propres services sur le prétendu défaut de scolarisation des petites filles musulmanes. Il a attaqué la FCPE à propos d’une affiche de campagne montrant une femme portant le voile. Il s’est refusé à condamner l’agression d’une mère d’élève portant le voile accompagnant une sortie scolaire par un élu RN. Ses services ont publié durant le confinement une fiche stigmatisant explicitement les musulman·e·s. Il soutient ouvertement Frédérique Vidal2, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, dans les accusations d’islamo-gauchisme faites aux universitaires alors même que le CNRS a affirmé que le terme ne correspond à aucune réalité scientifique3. Quand on voit cette obsession anti-musulmane, on est en droit de s’inquiéter de la teneur de son prochain ouvrage consacré à sa vision de la laïcité.

En effet, le ministre a publiquement apporté son soutien à la Fondation pour l’école et au réseau d’écoles hors contrats Espérance banlieues4, proches des catholiques intégristes, du mouvement La Manif pour tous et de l’extrême droite5. Pourtant, de nombreux membres de ces fondations ont été l’objet de poursuites pour conflits d’intérêts avec, entre autres, des suspicions de fraude fiscale6. Voilà le genre d’école et de société que défend notre ministre de l’Éducation. Les ressorts idéologiques de ces organisations sont basés sur une critique de l’État. Or, c’est précisément en ce sens que Jean-Michel Blanquer n’hésite pas à mettre tous les moyens à sa disposition pour développer sa politique libérale de démantèlement du service public d’éducation et de tri social. Les exemples ne manquent pas : évaluations permanentes avec la réforme du baccalauréat, orientation précoce et socialement sélective avec Parcoursup.

C’est dans cette application d’une idéologie ultra-libérale que s’est déroulé le Grenelle de l’éducation. En effet, la majorité des mesures va à l’encontre des intérêts des enseignants7. Il en va ainsi de la valorisation de ces derniers, certes affirmée par le Grenelle mais dont le montant n’est pas évoqué et reste assujetti à un devoir d’astreinte au remplacement, aux formations hors temps scolaire et « au mérite ». La proposition d’en finir avec l’avancement à l’ancienneté corrobore également l’idée d’un avancement « au mérite ». Travailler plus pour gagner plus, ce n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler une revalorisation. C’est pourtant la logique qui va de pair avec une gestion managériale des établissements et, par exemple, la proposition pour les personnels de direction de recruter directement les enseignants. Tout aussi grave, la proposition de suppression des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est une atteinte sévère aux droits des travailleurs. À cela s’ajoute, en lien avec ce que nous évoquions plus haut, l’élargissement des établissements autonomes sous contrat avec l’État qui annonce, in fine, une privatisation de l’école. Mettre ainsi les établissements en concurrence ne peut qu’aggraver les inégalités. Ces mesures ne sont pas étonnantes lorsqu’on sait que les participants ont été choisis par le ministère parmi les cadres de l’Éducation nationale, à tel point que la FSU et la CGT ont préféré quitter le Grenelle. Quant aux profs, ils n’ont même pas été conviés…

Au final, le bilan est sombre pour Jean-Michel Blanquer. Certes, le ministre se débrouille plutôt bien dans les médias. Il faut dire que ces derniers proposent rarement des contradicteurs de qualité face à lui. Cependant, dans les faits, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter du projet ministériel. Est-ce bien l’école que nous souhaitons pour nos élèves ? Nous revendiquons un projet d’école gratuite quand celle proposée favorise la privatisation des établissements. Nous revendiquons une école laïque quand la fameuse « autonomie » des établissements favorise les établissements confessionnels. Nous revendiquons une école ouverte à toutes et tous alors que la mise en concurrence des établissements va favoriser le communautarisme tant décrié. Nous revendiquons une école émancipatrice alors que celle proposée ne fera qu’accentuer les inégalités. Ne soyons pas dupes, derrière ce projet d’école du ministre Blanquer, c’est un projet de société global qui est porté par le gouvernement du président Macron. Une société de la compétition, inégalitaire et injuste. Face à cela, nous revendiquons une autre école pour une autre société, une société de la solidarité, égalitaire et plus juste.


1. Jarraud François, « Stage antiraciste : nouvelle victoire de Sud Éducation 93 », in Le Café Pédagogique, 07/07/2020
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/07/07072020Article637297028959285790.aspx
2. « Islamo-gauchisme : Vidal soutenue par Blanquer, une pétition réclame sa démission » in Le Parisien, 20/02/2021
https://www.leparisien.fr/politique/lislamo-gauchisme-est-selon-jean-michel-blanquer-un-fait-social-indubitable-20-02-2021-PPHB7QJGRNDAJNNAL3MPO3P22Q.php
3. "L’islamogauchisme n’est pas une réalité scientifique", in www.cnrs.fr, 17/02/2021
https://www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme-nest-pas-une-realite-scientifique
4. Il a été notamment présent à une soirée organisée par Espérance banlieues à Versailles le 21 janvier 2019.
cf. Sweeny Nadia et Leroux Nicola, « Une fondation d’utilité ultra privée », in Bastamag, 19/11/2020
https://www.bastamag.net/Fondation-pour-l-ecole-d-utilite-ultra-privee-Esperance-Banlieue-reseau-d-extreme-droite#nb1
5. Ibid.
6. Ibid. Rien d’étonnant puisque ces conservateurs, dans leur critique de l’État, remettent également en cause l’impôt.
7. Jarraud François, « Les recommandations explosives du Grenelle de l’éducation », in Le Café Pédagogique, 26/01/21
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/01/26012021Article637472421238032434.aspx#. YDtGog9IRic.twitter