En marche... pour aller où ?

lundi 2 octobre 2017
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

Nouveau président, nouveau premier ministre, nouveau ministre de l’Éducation nationale, vieille politique. On sait que l’actuel ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a été directeur de l’enseignement scolaire sous le gouvernement Fillon. À ce titre, il a été chargé de la mise en œuvre des suppressions de postes. En fait de nouveauté, c’est bien plutôt le retour d’un ancien.

Ses premières annonces s’inscrivent pour partie dans les annonces du candidat devenu président. 12 élèves par classe dans les CP et CE1 de REP+, autonomie des établissements, assouplissements des réformes antérieures, réforme du baccalauréat.
L’intention de limiter le nombre d’élèves par classe pour celles et ceux qui sont défavorisés est certainement louable. Que ce dispositif n’entre pas en concurrence avec le dispositif plus de maîtres que de classes, voire qu’il soit préférable n’est pas la question. C’est le périmètre de l’intervention qui est discutable. Le classement en REP+ ou en REP étant purement administratif, nombre d’élèves des classes défavorisées sont présents dans des écoles qui n’ont pas le label, dans des proportions plus ou moins grandes. La précédente classification avait permis de sortir de l’enseignement prioritaire certains établissements pendant que la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté (entre 50 % et 60 % du niveau de vie médian) progressait (autour d’un million de plus de 2004 à 2014). Une telle mesure, toujours bonne à prendre sur le principe, est loin de résoudre le problème des enfants qui ne peuvent trouver hors de l’école les moyens culturels nécessaires aux apprentissages ou dont les difficultés tiennent à des problèmes autres.

La réforme du baccalauréat annoncée concernait la diminution du nombre d’épreuves terminales et le remplacement des autres par un contrôle continu. Son objectif affiché est de renforcer le baccalauréat. Or, le problème le plus urgent est celui des moyens de l’enseignement supérieur (université, BTS, IUT, etc.) pour accueillir l’augmentation du nombre des bacheliers qui provient de l’augmentation démographique (le taux de réussite variant peu). C’est ainsi que l’université de Bourgogne supprime à la rentrée prochaine 10 % des heures d’enseignements qu’elle offrait jusque-là (40 000 heures) faute de moyens. Les places en BTS notamment sont insuffisantes pour accueillir les bacheliers des voies professionnelles et technologiques. On feint de s’étonner que nombre d’entre eux qui s’inscrivent à l’université par défaut y échouent. Et l’absurde système du tirage au sort entériné par une circulaire d’avril 2017 va finir par faire entrer dans les têtes qu’il faut sélectionner à l’entrée à l’université. Dès lors, la réforme du baccalauréat qui est ouverte selon les déclarations du ministre sur France culture du dimanche 4 juin doit être lue comme un possible instrument de sélection à l’université. Autrement dit, si le baccalauréat se transforme en brevet des lycées, son rôle pour entrer dans le supérieur se réduira à rien.

L’assouplissement des réformes antérieures concernent les contre-réformes dites des rythmes scolaires et du collège. Concernant les rythmes scolaires, la réforme Peillon avait consisté à entériner la baisse de deux heures d’enseignements pour les élèves, et surtout pas de diminution équivalente pour les professeurs des écoles (les enseignants du premier degré allemands donnent 113 heures de cours de moins par an pour 1700 euros de plus par mois). Et elle avait généralisé de prétendues activités péri-scolaires décidées à la va-vite qui avaient surtout renforcé les inégalités territoriales, instituant même des activités payantes comme à Grenoble sous l’égide d’un maire de l’ancienne majorité. L’assouplissement consisterait donc selon le projet de décret qui serait soumis le 8 juin à permettre à certaines écoles de revenir à la semaine de quatre jours. Autrement dit, cet assouplissement n’est rien d’autre qu’une extension de cette contre-réforme qui visait à différencier encore plus l’enseignement.

De même, la réforme du collège prétendait supprimer les classes bilangues, les sections européennes, les enseignements élitistes de grec et de latin et généraliser les Enseignements Pratiques Inter-disciplinaires (EPI) afin de répandre enfin l’égalité sur tout le territoire. Bien sûr, les classes bilangues ont été ici ou là maintenues, intégralement à Paris intra-muros, où les populations du XVIe et du VIIe arrondissements notamment sont particulièrement défavorisées. En prônant l’assouplissement, le nouveau ministre garde les diminutions horaires tout en laissant les équipes aménager les dotations horaires globales (DHG) à la baisse.

Aussi le point d’orgue des annonces du nouveau ministre concerne-t-il l’autonomie des établissements. Il ne s’agit bien évidemment pas de laisser les acteurs, élèves, parents, professeurs, décider des éléments d’organisation qui ne peuvent pas ne pas être laissés à l’appréciation locale dans un cadre réglementaire national. Il s’agit encore moins de supprimer les postes de direction pour les remplacer par des fonctions de représentations qui passeraient par des élections et une organisation démocratique des établissements scolaires. Il s’agit de donner tous les pouvoirs au chef d’établissement selon l’idéologie néolibérale qui voit dans l’entrepreneur qui dirige son entreprise et gère ses ressources humaines comme il gère ses ressources matérielles la quintessence de l’existence humaine. Recrutement ou non par le chef d’établissement de tout ou partie des personnels, définition locale des horaires, des options, etc. toutes ces mesures ne sont rien d’autre que les paravents d’une privatisation de l’Éducation nationale, c’est-à-dire de la transformation engagée depuis des décennies de la vieille administration héritée de l’Ancien Régime en des entreprises gérant des flux de savoirs, de personnels et d’élèves pour les diriger soit dans l’employabilité, soit dans les zones de relégation sociale.

Le nouveau ministre est en réalité bien ancien. L’exigence de la lutte pour résister à ces transformations mais surtout pour aller vers l’émancipation humaine à l’école aussi est plus que jamais nécessaire.