ÉVOLUTION ET MODERNITÉ

lundi 15 mars 2010
par  Sud éducation 66

Par Francis Maury

Voici une drôle de manière de penser les notions d’évolutions sociétales. Jérôme Chartier, député-maire et secrétaire national UMP, interviewé sur France Culture sur la loi « mobilité des fonctionnaires » : « Surtout pas une possibilité de licenciement mais une modernisation qui va enfin obliger les services de ressources humaines de l’État à trouver des solutions individualisées de reclassement ». Il faut vraiment prendre les gens pour des imbéciles en osant sortir de telles stupidités ! Les faits sont là : AVANT, l’État devait réaffecter le salarié dans un emploi de son corps d’origine, traduction, un emploi correspondant à la formation reçue (… et dispensée par l’État en question…) donc en relation avec ses capacités professionnelles. MAINTENANT, il peut réaffecter l’agent dans un autre emploi de la Fonction Publique d’État, Hospitalière ou Territoriale ; en cas de restructuration, son projet personnalisé d’évolution professionnelle peut l’amener à effectuer des missions temporaires dans les trois corps de fonctionnaires (État, hospitalière ou territoriale) y compris en cumulant des emplois à temps non complet ; TRADUCTION, les services de ressources humaines peuvent être amenés à proposer au salarié (dans le “pire” des cas), trois tiers temps dans chacune des fonctions publiques correspondant à son grade (niveau de salaire) et à son projet individuel (fourre-tout de capacités plus ou moins professionnelles) et en tenant (au mieux) compte de sa situation familiale et géographique. Enfin, au bout de trois refus, disponibilité sans salaire, c’est-à-dire, une mise au chômage sans indemnités… de la perversité de la modernisation des relations du salarié avec son employeur qui conserve à son “agent” son statut… sans le payer ! Et qui le licencie définitivement en cas de trois refus supplémentaires, toujours sans aucunes indemnités.

Le spectre de LA CRISE aidant, il est de bon ton de critiquer ce salarié qui se permettrait de refuser jusqu’à six propositions d’emplois ! Quelle honte ! Que ce salarié ait construit une vie sédentaire, soit éventuellement attaché à son lieu de vie, soit éventuellement en couple avec un(e) autre salarié(e), qu’il ait des obligations familiales, des enfants, des parents d’un grand âge, d’autres personnes à charge, un crédit sur son habitation… des ami(e)s, de la famille… ne sont que des aspects secondaires et de bien faibles valeurs face aux notions d’évolution et de modernité de la fonction sociale du travail.

Flexibles, mobiles, corvéables à merci et le plus financièrement précaires possible sont donc bien les arcanes de la modernité du travail dans notre société. Cette idéologie spécule : hommes et femmes sont termes de « valeur travail », de « productivité », de « matériaux », de « capital humain ».

Notre fonction essentielle serait donc de participer au mieux à l’accroissement des plus-values boursières de quelques multinationales qui alimentent le flux continuellement croissant de l’enrichissement exponentiel de quelques-uns au profit de la grande majorité. C’est plutôt du « travailler plus pour FAIRE gagner plus, pour DÉPENSER plus » qui nous est proposé.

Ceci se retrouve parfaitement dans la tendance à la normalisation de situations moralement tout à fait scandaleuses, injustes et disproportionnées ; ainsi, le même Jérôme Chartier, interrogé sur l’impact de “l’affaire Proglio”, définit la situation de cette manière : « M. Proglio est un salarié comme les autres, ses droits acquis lui permettent de profiter d’une retraite chapeau d’un million d’euros de la part de Véolia en plus de son salaire de patron d’EDF… si on s’attaque à ses droits acquis, il faut le faire pour tous les salariés de France… » On voit ici le glissement effectué d’une situation TRÈS particulière et TRÈS avantageuse, d’un “salarié” qui n’a même pas eu à négocier un pourcentage gigantesque d’augmentation de salaire et dont UNE des retraites représente plus de HUIT fois la pension d’un(e) retraité(e) français(e) 1. Comparons donc ce qui est humainement et raisonnablement comparable et que l’on ne nous dise pas que l’impact de tels salaires pour de nombreux grands patrons français n’influent en rien sur les augmentations tarifaires que nous subissons régulièrement ( gaz, électricité, essence, etc.).

Ce qui n’est pas dit, ou rarement, c’est que, parallèlement à cette « loi sur la mobilité des fonctionnaires » va se créer, dans le cadre des propositions gouvernementales de « revalorisation » de la fonction publique, une caste de hauts fonctionnaires ; en effet, le gouvernement a prévu ce que l’on pourrait nommer un “parachute doré” pour les très hauts fonctionnaires qui le servent avec zèle.

Cela s’appelle le GRAF (grade à accès fonctionnel) ; en résumé, ces fameux hauts fonctionnaires (catégorie A ; explication administratives : un grade culminant en Hors Echelle A – HEA), accessible par la voie de la sélection au choix, aux agents du deuxième grade ayant été détachés dans un statut d’emplois ou ayant exercé des fonctions à un niveau de responsabilité particulièrement élevé. Des conditions d’ancienneté seront également requises :

- 10 ans de détachement sur statut d’emplois durant les 14 dernières années ;
- 12 ans d’exercice de fonctions correspondant à un niveau de responsabilité élevé ou de détachement sur un statut d’emplois durant les 15 dernières années.

TRADUCTION, Ces fonctionnaires (estimés à un millier environ) particulièrement méritants seraient regroupés dans ce corps d’élite et conserveraient à vie leurs avantages (primes et indemnités qui peuvent aisément doubler leurs salaires). Salaires au mérite, toujours, dans le droit fil des traditions fleurant bon la « fleur de lys républicaine ».

Proposer une réforme favorisant les agents considérés comme les plus méritants ne pourrait bien être, pour la majorité de l’encadrement, que de la « poudre aux yeux »… et pour l’immense majorité des agents de l’État, de l’hôpital et des territoriaux, la précarité sélective se conjugue ainsi : de la modernité à la mobilité.

« Charité bien ordonnée commence par soi-même » est un adage que respectent à merveille ces défenseurs de la modernité et de l’évolution… ils finiront bien par coller le R de modernité au mot ÉVOLUTION.


1. L’étude de la DREES en date de décembre 2008 affiche un chiffre de 1212 euros, pour le montant moyen des retraites en France.