Jour de colère ou le fascisme en famille

vendredi 21 mars 2014
par  Sud éducation 66

Grâce au « mariage pour tous », les réactionnaires et fascistes de tout poil font leur coming out. Malheureusement ça marche : alors que le mouvement social échoue depuis plusieurs années à faire plier les gouvernements de tous bords, le « Jour de colère » les contraint à « différer » le débat sur un projet progressiste. De quoi se poser quelques questions...

Qui sont-ils ?

Nébuleuse de groupes éclectiques, des catholiques intégristes de Civitas au Bloc identitaire en passant par les aficionados de Dieudonné ou de Soral, ils ont au moins un point commun : la haine d’une société ouverte, tolérante, qui promeut la liberté et l’égalité des droits en luttant contre les discriminations. Créant la confusion entre crise économique et crise des valeurs, ils tentent de faire croire à ceux qui sont fragilisés par la crise que le repli sur des valeurs conservatrices et/ou le retour à un passé fantasmé et/ou la promotion d’un ordre autoritaire et/ou l’exclusion de tous ceux qui représentent une « menace », serait une solution politique.
Comme le prouve l’affiche appelant au rassemblement du 26 janvier, point n’est besoin d’un discours et d’un pro- jet politique cohérent : l’appelle à une passion commune (la colère), la désignation d’un ennemi commun symbole de tous les maux (le gouvernement) et la juxtaposition de combats disparates excluant toute approche systémique de la crise suffisent à mettre des milliers de personnes dans la rue et à faire retirer les enfants de l’école. Quelle est la recette de ce succès ?

Règle n°1 : Parler aux passions et se fabriquer un ennemi commun

On a tous une raison d’être en colère !
La colère est certainement en temps de crise la chose du monde la mieux partagée. Normalement, dans un combat politique digne de ce nom, la question n’est pas de savoir si on est en colère, mais de définir à quoi on s’oppose et éventuellement de dire ce que l’on propose. Normalement. Mais le « Jour de colère » fonctionne à l’envers : peu importe les contradictions des « revendications » tant qu’on peut se fabriquer un ennemi commun pour créer une illusion d’unité. L’important c’est de montrer que cet ennemi fantasmé est à l’attaque et qu’il est sans pitié : il « affame », « détruit », « déboussole », « pervertit », « matraque »... Le pire c’est qu’il a été élu démocratiquement, cet ennemi décrit à grand renfort de rhétorique guerrière et qui méprise « le peuple ». Mais il ne faut surtout pas les taxer de populisme, encore moins remettre en cause leur attachement à la démocratie. Au contraire, c’est nous les anti-démocrates, nous qui cherchons à les empêcher d’user de leur liberté d’expression. et le gouvernement devient le symbole de toute une société qu’ils exècrent. Du coup, on aurait presque envie de le défendre, ce gouvernement, et oublier pour un temps l’ANI, le pacte de responsabilité ou la refondation de l’école... un comble !

Règle n°2 : Manger à tous les râteliers en cultivant l’ambivalence

Chacun y va donc de sa petite rancoeur.
En tête de cortège, les conservateurs en matière de mœurs, anti-avortement, homophobes, religieux, défenseurs de la famille traditionnelle et du mariage, sexistes et partisans de la société patriarcale pour qui l’ennemi « Déboussole nos enfants, pervertit notre système scolaire, détruits nos familles... » Juste derrière, les ultra-libéraux primaires anti-étatiste et anti-fiscaliste, héritier du poujadisme, qui ne voient dans l’état qu’un outil de spoliation : pour eux l’ennemi « matraque les contribuables, réduit nos libertés... ».
Ceux qui crient fort, ce sont les nationalistes et tous ceux qui se sentent menacés dans leur « identité ». Laquelle au juste ? Nationale, culturelle, régionale, civilisationnelle, religieuse, sexuelle... peu importe : plus c’est vide, plus ça ratisse large ! pour eux l’ennemi est carrément mortel, il « assassine notre identité ».
Et puis il y a les nostalgiques à qui on sert de bons vieux slogans passéistes qu’on croirait copiés d’une affiche d’un temps qu’ils n’ont jamais connu. pour eux l’ennemi « affame nos paysans ». Bientôt ils iront à Versailles crier « Du pain ! ». ils n’auront qu’un peu plus de deux siècles de retard.
Même les pacifistes scandalisé·e·s qu’on envoie nos jeunes combattre en Afrique et les partisans d’un nationalisme conquérant grâce à une armée française forte peuvent crier côte à côte que le gouvernement « enterre notre armée » !
Perdus au milieu de la manif’, pacifistes et anciens de l’OAS crient bizarrement le même slogan : ce gouvernement « enterre notre armée »... pas sûre qu’ils comprennent le slogan dans le même sens, c’est la magie de l’ambivalence !

Règle n° 3 : Surtout ne pas parler des solutions

Pour trouver des solutions, encore faut-il réfléchir aux causes et aux conséquences des problèmes, à leur insertion dans un système plus complexe. Bref il faut ébaucher un semblant de réflexion et de raisonnement au lieu de juxtaposer des inepties issues du mouvement primitif de passions négatives ancrées dans l’immédiateté de la dure vie quotidienne. Or il ne faudrait surtout pas que tous ces alliés d’un jour réfléchissent. Ils risqueraient de se rendre compte de la supercherie !

Et nous ? Qu’est-ce qu’on fait ?

Parce que nous sommes (encore ?!) plus nombreux qu’eux...

1.On prend la mesure du danger et on se mobilise vite, plutôt que de laisser de l’espace public aux idées fascisantes et de l’espace politique au FN
2.On est sûr de nos valeurs : égalité des droits, libertés fondamentales, justice sociale, redistribution des richesses, solidarité, tolérance... ce n’est que sur ce terreau et non sur l’exclusion, les discriminations, l’autoritarisme, la remise en cause des libertés qu’une société humaine peut se construire et tendre au bonheur.
3.On reste unitaires dans ce combat, quel que soit les perspectives électorales, les dissensions occasionnelles...
Nous aussi nous avons un ennemi commun et il est bien plus dangereux et réel que le leur !

Héléna Molin.