L’HYPOCRISIE MODERNISTE AU SERVICE D’UNE LOGIQUE : TRAVAILLER PLUS POUR GAGNER MOINS ! LE PROJET DE RÉFORME DU DÉCRET DE 1950

dimanche 10 décembre 2006
par  Sud éducation 66

Par Sodara Kim et Patrick Billard

Le voici, le voilà, celui qui vous attendiez tous depuis longtemps, le dernier avatar en date de la “modernisation” de la fonction publique (nous vous épargnons le paternel “nécessaire modernisation”), la modification des statuts de 1950 relatifs aux obligations de service des enseignants du second degré. Outre les substantielles économies que ce texte induit, il est le reflet d’une tendance générale à introduire les techniques de management de l’entreprise privée au sein de la fonction publique, en individualisant davantage le rapport de chaque enseignant à sa hiérarchie et en imposant davantage de flexibilité. Voici la liste des principales “innovations” :

1) Nomination sur plusieurs établissements

Chaque enseignant qui ne peut faire la totalité de son service dans l’établissement où il exerce pourra être tenu d’effectuer un complément de service dans un ou deux établissements de la même commune, ou d’une autre. Actuellement il faut que les établissements soient dans la même commune. Le projet ne prévoit aucune limitation géographique, mais une décharge d’une heure si les 2 établissements sont dans des communes non limitrophes (ou 2 heures pour 3 établissements dans des communes non limitrophes)

2) Complément de service dans une autre discipline

Si le service de l’enseignant n’est toujours pas complet, en dépit de la disposition précédente, et si les besoins l’exigent, il pourra être amené à enseigner dans une autre discipline conformément à ses compétences. Outre que les statuts précédents respectaient davantage les “goûts” des enseignants, cette disposition ne tient aucun compte des qualifications des enseignants pour préférer la notion plus subjective de compétence.
En ce qui concerne les TZR ils pourront faire la totalité de leur service dans une autre discipline, conformément à leur compétence.

3) Prime à la bivalence

Les titulaires d’une mention complémentaire qui exercent tout ou partie de leur service dans la discipline correspondante recevront une prime.
La mention complémentaire s’obtient par la réussite à une épreuve d’un concours, et pourra également s’obtenir par la validation des acquis d’expérience en justifiant d’un enseignement de trois ans dans la discipline.
Cette disposition est bien sûr complémentaire de la précédente : elle ajoute l’incitation (peut-être faudra-t-il dire alibi) financière à l’obligation statutaire de la bivalence.

4) Heure de première chaire

Seront exclus du décompte des heures pour la première chaire : les enseignements pour les BTS, ceux de première non évalués de façon anticipée au baccalauréat et les options facultatives.
Là aussi de sérieuses économies en perspective, d’autant que cette mesure est cumulable avec la précédente.

5) Disparition des heures spéciales de décharges

Les heures de décharges pour les laboratoires de SVT, physique-chimie ou le cabinet d’histoire-géographie sont supprimées ; à leur place certains enseignants pourront avoir une partie de leur service dédiée à des actions de formations des enseignants, de coordination d’une discipline ou d’un niveau d’enseignement, d’encadrements d’activités pédagogiques. Ces enseignants, volontaires mais nommés par le chef d’établissement, constitueront-ils des niveaux hiérarchiques intermédiaires ? On peut imaginer les pires déviations clientélistes d’un tel dispositif, qui risque au demeurant d’avoir l’effet inverse à celui visé et de déresponsabiliser les enseignants de toute initiative.

6) Remise en cause de l’UNSS

Certaines activités de l’associative sportive de l’établissement pourront être supprimées si « les besoins ne sont pas justifiés » ou si l’enseignant en fait la demande ; une fois encore on risque de renforcer l’arbitraire des chefs d’établissement, une activité pouvant être peu fréquentée mais trouvant sa justification dans la découverte d’un sport peu pratiqué.

En somme, si ce projet n’a qu’un mérite, c’est de clarifier la façon dont le ministère conçoit ce qu’est le prof de demain. Il est polyvalent sans en avoir la formation, géographiquement mobile sans limite kilométrique, il pratique le bénévolat sans compensation, accepte une surcharge de travail sans gagner plus. En fait le prof idéal pour le ministère est une créature née d’un mélange entre un prestataire de services multicarte, ambulant, et Mère Térésa.

Si vous rechignez à accepter cette modification alors préparer vous à devenir de facto un(e) réactionnaire archaïque qui refuse la modernité. Ce sera binaire : 2006 contre 1950, modernistes progressistes contre mammouths passéistes. Avec ce type de raisonnement, le code du travail est un archaïsme et les licenciements boursiers un progrès social.

Ne pas bouger en pensant qu’en période électorale ils n’oseront pas passer en force est risqué. La majorité actuelle ne compte pas beaucoup sur les voix des profs pour se faire élire. En suscitant la grogne enseignante elle donnerait même des gages à son électorat. Et pour cause : la flexibilité, la mobilité, le non-respect des qualifications, la hausse du temps de travail sans augmentation de salaire, sont autant de valeurs, contenues dans ce projet, qui doivent raisonner comme une douce mélodie aux oreilles des partisans d’une école plus inspirée par la Loi du marché.