LA CARTE SCOLAIRE

mardi 11 décembre 2007
par  Sud éducation 66

Par Patrice Bégnana

La suppression annoncée de la carte scolaire par le nouveau gouvernement exige incontestablement une riposte. Mais laquelle ? Faut-il défendre la carte scolaire telle qu’elle existe ou bien défendre une autre carte scolaire ?

L’actuelle repose sur un découpage purement géographique qui conduit, de l’école primaire jusqu’au lycée, à répartir les élèves selon leur quartier d’origine. Elle n’a pas vocation à assurer la mixité sociale. Il faudrait qu’elle existât dans la distribution urbaine.

La réputation des établissements a depuis longtemps conduit à des tactiques, de la part des parents « informés », parmi lesquels les enseignants sont loin d’être les derniers, de contournement de la carte scolaire. On peut s’installer dans le bon secteur scolaire. Dans certaines grandes villes, c’est un élément du coût du logement. Le choix des options discriminantes est un autre moyen. Aussi le phénomène de relégation scolaire est-il bien réel.

Et c’est sur cette base que le gouvernement, visant à rompre avec l’inégalitarisme de fait, argumente pour rejeter toute idée de carte scolaire. Défendre la carte scolaire telle qu’elle existe comme étant un moindre mal, c’est purement et simplement accepter que l’opacité et la discrimination sociale qui gangrènent l’école perdurent. Car, l’actuelle carte scolaire repose, non sur le mérite, mais sur les affinités sociales (quand elles ne sont pas ethniques).

Il n’en reste pas moins vrai que la pure et simple concurrence ne conduit qu’à cette pseudo égalité des chances qui est la tarte à la crème des libéraux (néo, ultras, sociaux ou autres). Qu’on veuille une concurrence dure comme l’actuel gouvernement ou un assouplissement de la carte scolaire pour que les meilleurs élèves puissent choisir leur établissement comme certains l’ont proposé, revient à faire de la concurrence entre établissements la règle. C’est purement et simplement introduire le marché dans l’éducation. C’est surtout accentuer les inégalités en donnant quelques lots de consolation aux quelques enfants de milieux défavorisés qui ressortiront vivants de la jungle scolaire. C’est accepter que le plus grand nombre des enfants voit leur avenir balisé par les minima sociaux ou les conduites déviantes.

C’est donc une carte scolaire autrement conçue qu’il faut défendre. D’une part, le critère géographique ne doit plus être le seul : il doit être complété par un critère plus important, à savoir la composition sociale de l’établissement. Si les actuelles classifications des Catégories Socioprofessionnelles (C.S.P.) sont parfois bien élastiques, elles ont le mérite de permettre cette répartition. D’autre part, la répartition des options doit disparaître au profit de leur présence dans le plus grand nombre d’établissements possibles. À défaut, on peut très bien concevoir que les options rares soient systématiquement proposées dans les établissements « difficiles » pour qu’elles restent des options. Enfin, la répartition des moyens en vue de faire accéder à un meilleur niveau les élèves les plus faibles entre les établissements et à l’intérieur de ceux-ci doit nécessairement accompagner cette carte scolaire. Autrement dit, il faut que ceux qui ont moins aient plus pour permettre, non pas l’égalité des chances, mais l’égalité réelle.

La disparition de la vieille carte scolaire, faussement sociale, hypocrite et discriminatoire a le mérite de permettre de poser sérieusement le problème de la finalité de l’école. Doit-elle être une machine de reproduction sociale – et les libéraux comme leurs adversaires bien pensants sont d’accord sur ce point – ou bien doit-elle être un des leviers de l’émancipation sociale de tous les enfants ?