La continuité... en pire !

lundi 2 octobre 2017
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

Depuis sa prise de fonction consécutive à l’élection d’Emmanuel Macron, notre « nouveau » ministre, Jean-Michel Blanquer, qui s’était illustré comme maître d’œuvre des suppressions de postes sous l’ère Sarkozy (directeur général de l’enseignement scolaire de 2009 à 2012), occupe une place certaine dans les médias grâce à des annonces savamment distillées et à des décisions qui plaisent à tous ceux qu’hérissait la précédente majorité, voire la ministre de l’éducation. Et pourtant, à y regarder de plus près, la continuité semble de mise sur le fond.

Le retour à la semaine de quatre jours dans le primaire pour les communes qui le désirent accentue l’autonomie que la précédente réforme avait consacrée et amplifie les inégalités territoriales. Il s’agissait de livrer le temps périscolaire aux mairies dont les moyens et les politiques varient et aussi au temps scolaire. Il s’agit de la même chose.

De même, le prétendu rétablissement des classes bilangues, qui n’avaient pas disparu, du latin et du grec, qui se maintenaient plus ou moins, et l’assouplissement des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), qui dans la pratique étaient assez souples, renforcent le puzzle éducatif. Laissé à l’appréciation des équipes, autrement dit de la hiérarchie, le choix de telles ou telles options renforce non pas l’autonomie des établissements, mais le modèle de l’entreprise libérale ou un chef tout puissant décide de ce qui est bon ou mauvais.

Ce n’est donc pas pour rien qu’ici ou là, le ministre fait rappeler qu’il est favorable au recrutement local des professeurs par la hiérarchie. Le chef d’établissement est alors considéré comme un chef d’entreprise propriétaire ou tout au moins choisi par des actionnaires et l’école est identifiée à une marchandise. Et ce modèle explique tout l’intérêt pour l’enseignement privé de notre ministre. Loué par le mouvement Sens commun, émanation de la manif pour tous, il a pu dire, juste avant de devenir ministre, tout le bien possible de l’enseignement privé conçu comme permettant des délégations de service public (les cinq universités catholiques françaises, Lille, Paris, Lyon, Angers et Toulouse, ont vu leurs effectifs doubler de 2003 à 2015 et leur effectif a cru de 6 à 8 % à la rentrée 2016 même si leurs effectifs demeurent modestes, leur coût annuel étant de 3000 à 5000 €).
Cette politique qui se dessine trouve également sa traduction dans l’incroyable campagne contre le site Admission Post Bac (APB). Alors que l’augmentation du nombre d’élèves dans le secondaire impliquait nécessairement une pression prévisible et prévue vers l’enseignement supérieur, alors que les universités ont vu leurs moyens amputés, alors que le précédent ministère a cyniquement décidé que le tirage au sort, et non l’augmentation des places, permettrait de répartir les étudiants, l’actuel gouvernement annonce une suppression d’APB et son remplacement par un nouveau site qui prendra en compte les prérequis des étudiants. L’État a commencé par donner leur autonomie aux universités et dès lors leurs moyens ne dépendaient plus du nombre d’étudiants sous la présidence Sarkozy. Puis, sous la présidence Hollande, la situation des universités s’est naturellement dégradée. A été concocté un système absurde – le tirage au sort qui peut éliminer un excellent étudiant et conserver celui qui vient simplement chercher une bourse. Qui pourrait raisonnablement ne pas préférer la sélection ? Et finalement, sous l’ère Macron, on pose comme une évidence qu’il faut lutter contre l’échec des étudiants et donc qu’il faut les sélectionner sans utiliser le terme. On comprend alors pourquoi l’enseignement universitaire privé a le vent en poupe.
Bref, tous les dysfonctionnements de l’Éducation nationale qui sont le résultat des politiques publiques des gouvernements qui se succèdent sont autant d’arguments, non pas pour les modifier, mais pour les conforter. Quant aux querelles byzantines entre les « pédagogistes » et les « conservateurs », elles ne sont là que pour amuser la galerie. Notre ministre, prétendument « conservateur », n’était-il pas présent lors de la réforme « pédagogiste » du lycée de Luc Chatel et ne conserve-t-il pas la réforme « pédagogiste » de sa prédécesseure Najat Vallaud-Belkacem ? Cette querelle sert simplement à accuser les professeurs de tous les maux et à détourner les regards des politiques publiques.

On comprend alors que le syndicat qui soutient le gouvernement, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF, 8 % de syndiqués), puisse faire campagne sur le thème : « Si l’école faisait son travail, j’aurais un travail. » Le ministre Blanquer se dit consterné par ce slogan alors qu’il traduit son discours constant. Il faut relire Tartuffe.

Cette transformation de l’école en entreprise est liée à la transformation de la société qui est l’objectif du pouvoir : une société néolibérale où des salariés mobiles iraient d’entreprise en entreprise pour un coût toujours plus bas, avec des horaires toujours plus flexibles et une retraite toujours plus courte, pour le plus grand profit de la petite caste des propriétaires des entreprises et de leurs serviteurs idéologiques (certains journalistes ou syndicalistes). L’essentiel de la réforme fiscale du gouvernement ne vise-t-il pas, entre autres en diminuant l’ISF, à orienter toute l’épargne vers les produits financiers ?

Pourquoi le ministre Blanquer n’annonce-t-il pas de grandes réformes et semble-t-il se contenter de « pragmatisme » ? Parce que le gouvernement est occupé par la première étape de sa « transformation » : les ordonnances sur le travail. Nul doute que l’éducation viendra en son temps.
Aussi la lutte contre les ordonnances sur le travail dont l’objectif est de livrer encore plus les salariés à la domination de leurs employeurs est-elle aussi une lutte contre une éducation marchandise et pour une éducation émancipatrice.