LA SEMAINE « ÉCOLE – ENTREPRISE » : LE MEDEF TOUJOURS EN QUÊTE DE JEUNES PROIES

mercredi 12 mars 2008
par  Sud éducation 66

Par Marc Anglaret

Destinée aux élèves de la quatrième à la terminale, la semaine « Ecole – Entreprise » (huitième édition cette année) s’est déroulée du 19 au 24 novembre 2007. D’après Eduscol (1), le site pédagogique de l’Éducation nationale, elle est organisée « en partenariat avec le monde professionnel ». Derrière cette subtile périphrase, un sigle se cache (à peine) : le MEDEF. C’est donc une information officielle : le monde professionnel n’est rien d’autre que le monde des patrons, ou plutôt de leur « syndicat ». Voilà du moins ce que cette semaine « Ecole – Entreprise » s’acharne depuis huit ans à vouloir faire croire à nos élèves.

Nous ne débattrons pas ici de la question de l’équilibre entre les formations « professionnelle » et « intellectuelle » que l’école doit apporter aux élèves. Cette question reçoit évidemment des réponses différentes selon l’âge et le type d’enseignement (général, technologique ou professionnel). Il s’agit seulement ici de dénoncer ce qui n’est rien de moins qu’une propagande organisée par le MEDEF avec la bénédiction du Ministère de l’Éducation nationale.

Faut-il rappeler ce qu’est le MEDEF ? Ce n’est ni l’incarnation du « monde professionnel », ni même celui de l’entreprise, comme il cherche à le faire croire, et pas seulement par son sigle. C’est un groupe de pression qui défend l’intérêt d’une classe, la classe dirigeante du secteur privé, et dont les propositions sont si libérales que même un gouvernement se revendiquant d’une droite « décomplexée » ne les suit pas toujours. Ce n’est pas et cela ne peut pas être un partenaire « neutre » idéologiquement. Certes, ricaneront les cyniques, mais que sont les syndicats de salariés, sinon également des groupes de pression corporatistes et marqués idéologiquement ? Nul besoin d’être marxiste pour répondre que, précisément, on imagine mal, à juste titre d’ailleurs, une semaine « Ecole – Entreprise » organisée en partenariat avec la CGT, ou même la CFDT… (pour ne rien dire de SUD !). Nous ne contestons pas ici le droit aux patrons de défendre leurs intérêts de patrons, mais qu’ils le fassent hors de l’école, et sans essayer de faire croire que c’est pour le bien des élèves et même des enseignants !

La brochure présentant la semaine, co-éditée par l’Éducation nationale et le MEDEF, déborde presque à chaque page d’« esprit d’entreprise », de « goût d’entreprendre ». Mais au-delà de cette rhétorique qui peut sembler plus ridicule que dangereuse, les véritables objectifs des patrons ne sont pas non plus cachés. Deux exemples :
– Ce rapprochement entre l’école et l’entreprise doit permettre de « concevoir avec les acteurs du monde professionnel des outils pédagogiques communs ». Traduction sans tartuferie : publicité gratuite pour les entreprises à l’égard d’une « cible » de premier choix, nos élèves, d’autant plus faciles à manipuler que ces « outils pédagogiques » seront présentés dans un cadre scolaire et bénéficieront donc d’une caution de sérieux que n’ont pas les supports publicitaires “classiques” comme les spots télévisés.
– Les rencontres « Ecole – entreprise » ont également pour objectif d’« aider à l’orientation des élèves ». Voilà qui devrait théoriquement nous réjouir ! Mais tous les COPsys (Conseillers d’Orientation-Psychologues) savent bien que les patrons ont toujours une vision à très court terme de cette orientation des élèves : pour eux, l’école est là pour leur fournir de la main d’œuvre, déjà formée si possible, afin de répondre à leurs besoins du moment, quitte bien sûr à les mettre au chômage si la « conjoncture » l’exige (la mondialisation libérale et ses délocalisations imposent parfois des sacrifices). Quant aux aspirations des élèves, inutile d’en parler…

Certains pourraient naïvement croire qu’il s’agit là de l’idéologie libérale propre au MEDEF, que l’Éducation nationale essaie de tempérer un peu… Qu’on en juge : la page du site Eduscol déjà mentionnée (1) explique quels sont, pour les élèves, les enjeux de cette semaine : « Développer le goût d’entreprendre et prendre conscience des valeurs positives de l’entreprise, lieu de création de richesses et de développement personnel ». « Valeurs positives de l’entreprise » (pourquoi, il y en a de négatives ?), « création de richesse » (au sens de la richesse intellectuelle, n’en doutons pas…), « développement personnel » (la même expression que pour la sous-littérature à la mode pour se faire des amis facilement ou avoir son âme en harmonie avec son corps…) : alors, rassurés ?

La laïcité, hélas menacée de bien d’autres manières ces derniers temps, c’est aussi des « partenaires » neutres idéologiquement pour l’école. A défaut, une pluralité représentative du monde de l’entreprise dans sa diversité permettrait peut-être de remettre quelques pendules à l’heure. Mais les élèves entendent-ils beaucoup parler de syndicats, et plus largement de droit du travail, de harcèlement sur le lieu de travail, de licenciement abusif, et ainsi de suite, au cours de la semaine « Ecole – Entreprise » ? Non, tout cela ne fait manifestement pas partie des « valeurs positives de l’entreprise », et pourrait freiner chez nos élèves leur « goût d’entreprendre » !

Boycottons la prochaine semaine « Ecole – entreprise » !

(1) http://eduscol.education.fr/D0045/SemaineEcoleEntreprise.htm