LA TRADITIONNELLE MONTÉE EN IMPUISSANCE DE LA RENTRÉE SOCIALE

jeudi 16 décembre 2010
par  Sud éducation 66

Par Francis Maury

La traditionnelle « rentrée sociale » s’est focalisée sur le combat contre le projet de réforme des retraites dont tous les acteurs connaissaient les termes et pourtant… le mythe d’une nécessité absolue d’intersyndicale large préalable à toute victoire emmène régulièrement les luttes sociales à se désagréger lentement, même soutenue par une forte majorité de la population, comme ce fut le cas à l’automne 2010. Depuis le début du conflit (début 2010) l’Union Syndicale Solidaires et la fédération des syndicats SUD Éducation en particulier, n’ont cessé de rappeler la nécessité de construction rapide d’une grève générale reconductible, seul moyen de faire éventuellement plier ce gouvernement autiste.

Le mouvement s’est traduit par des initiatives exemplaires de la part des travailleurs et travailleuses mobilisé-e-s, syndiqué-e-s ou pas. Initiatives sur lesquelles il aurait fallu, toutes et tous, plus et mieux s’appuyer : appels unitaires de syndicalistes à construire à la base la grève générale, reconductions de la grève, blocages de dépôts de carburants et actions directes de masse, assemblées générales interprofessionnelles organisant la lutte comme au Havre…

Localement, les tentatives de « création » d’une réelle Assemblée Générale Interprofessionnelle représentative des salarié-e-s en lutte se sont heurtées aux fonctionnements hégémoniques d’une centrale syndicale… La triste absence de militant-e-s de certaines autres organisations syndicales sur les actions qui ont ponctué les quelques semaines de forte mobilisation n’est que le revers de la médaille d’une entente intersyndicale basée sur le seul principe du maintien de l’image de l’unité : stratégie de communication autodestructrice, incantations répétées des résultats de sondages d’opinion, auto-persuasion de communiqués nationaux insipides et sans aucune perspectives de victoire.

La stratégie unitaire nationale de cantonnement aux journées-saute mouton et de refus de soutenir franchement les reconductions et les actions radicales des grévistes, cette stratégie imposée par un « deal » permanent entre les directions nationales CGT et CFDT n’est pas parvenue à faire plier le gouvernement ; elle n’aboutit à d’autres résultats que d’amputer les salarié-e-s de leur pouvoir d’action et du libre-arbitre dans le choix des moyens appropriés à la victoire de leurs revendications professionnelles et sociales.

La stratégie de maintien des grèves carrées dont le rythme s’emballe sous la pression d’une base en « reconductible » reste le meilleur garant de la défaite du mouvement social ; ainsi, on fait semblant de radicaliser un mouvement qui ne peut que ralentir, la minorité en grève reconductible attendant d’être rejointe par une base que peu d’organisations syndicales se donnent réellement les moyens d’élargir ; ceci par le ralentissement du travail de terrain (tractages, conférences de presse, forums d’information, rassemblements devant des entreprises, etc.), et par le maintien de la “maîtrise” des actions locales répétitives qui, bien qu’économiquement “sensibles”, sont peu susceptibles de convaincre d’autres salarié-e-s de rejoindre le mouvement ; l’exemple du refus répété de la presque totalité des organisations syndicales départementales des Pyrénées Orientales d’envisager une action concertée avec l’Aude et l’Hérault sur le site de redistribution de carburant de Port-La-Nouvelle n’en est qu’une illustration criante.

La perspective d’autogestion des luttes par les principaux-ales concerné-e-s, les salarié-e-s, précaires, chômeurs, étudiant-e-s, lycéen-e-s et autres a cependant, et il faut s’en féliciter, progressé ; l’implication de toutes et tous dans les luttes nécessaires au maintien de notre dignité de citoyen-e-s et de salarié-e-s reprend petit à petit l’importance ; des décennies de pratiques syndicales co-gestionnaires qui, sous couvert de responsabilité, consistent à négocier en permanence avec des pouvoirs politiques sans cesse plus réactionnaires, liberticides et ultra-libéraux ont laissé des traces ; il est temps que les travailleurs-ses se réapproprient, au-delà des rendez-vous électoraux aux perspectives peu progressistes, le sens de l’action collective et de la solidarité. La mondialisation des rapports de force économiques ne doit pas faire oublier aux « employé-e-s » du monde du travail que sans eux, sans elles, l’Économie n’est RIEN.

Certaines analyses présentent même les organisations syndicales dites représentatives comme d’excellentes forces de maintien de paix sociale, canalisatrices de l’expression de la colère populaire ; les nombreuses luttes perdues de ces dernières années dans tous les secteurs professionnels, la perte incessante d’acquis sociaux et la stratégie défensive des classes laborieuses et exploitées semblent bien leur donner raison. N’oublions pas, cependant, que le creusement des inégalités, le développement croissant de la misère et l’acceptation de la notion de survie qui caractérise le travail précaire sont, et seront toujours, le creuset de justes révoltes populaires.

Car à force de fermer des entreprises tout en annonçant des bénéfices records dans les banques, à force de légitimer des bonus, parachutes, primes… mirifiques et indécemment individuels au détriment de bon usage du bien commun et public, à force de dire qu’il n’y a plus de sous dans les caisses publiques tout en accordant des aides pharaoniques à des entreprises privées sur l’argent des contribuables, à force de voter des lois injustes pour la grande majorité tout en s’excluant de ces mêmes lois (allez consulter la retraite d’un simple député suite à deux législatures), à force de voir les grands groupes délocaliser proportionnellement à l’augmentation de leurs bénéfices, à force… de tirer sur la corde… on tirera tant le diable par la queue… qu’il se retournera pour mordre !

Il faut maintenant prendre acte que nombreux seront les salariés (et particulièrement les salariéEs) à partir en retraite avec des pensions de plus en plus misérables… et travaillerons PLUS et PLUS longtemps pour gagner MOINS et MOINS longtemps. Cela doit être ça le PROGRÈS, puisqu’on nous le dit ; à SUD Éducation, on en doute fort et nous continuerons de contester cette vision et organisation du monde par tous les moyens dont décideront de se doter démocratiquement les acteurs des prochaines et inévitables luttes sociales.