La véritable histoire de l’ISAE

mercredi 15 juin 2016
par  Sud éducation 66

Héléna Molin

Pour les enseignant•e•s du premier degré, l’annonce récente de l’augmentation de l’ISAE en vue d’une égalisation avec l’ISOE des enseignants du secondaire est un petit événement. Enfin une revalorisation de salaire (et la fin d’une injustice longue de 25 ans !). Mais tout événement n’a de sens qu’en lien avec d’autres événements, passés et futurs. Comme toute décision politique, elle s’inscrit dans une logique. Essayons donc de comprendre cette logique et de refaire l’histoire de cette fameuse ISAE, afin d’en relativiser le caractère « exceptionnel ». La revalorisation de l’ISAE, c’est de la poudre aux yeux !

L’histoire commence en 1989 quand Lionel Jospin crée le corps de professeur•e des écoles (PE). La création de ce corps permettra d’aligner le statut des enseignants du primaire sur celui des certifiés du secondaire. Point positif : la grille indiciaire des PE sera désormais la même que celle des PLC certifiés. Contre-partie : retraite à 60 ans au lieu de 55 ans (reconnaissance ancienne de la pénibilité de la tâche de l’instituteur), fin de quelques avantages (comme le logement de fonction). Parallèlement est créée l’ISOE (indemnité de suivi et d’orientation des élèves) pour les PLC. Elle est de 1200 euros brut par an, qui ne comptent pas dans le calcul de la retraite puisqu’il s’agit d’une indemnité. Le gouvernement a donc réduit une inégalité de rémunération, mais en a créé une autre, sous-estimant certainement la capacité des enseignants du secondaire à comprendre cet alignement du statut des enseignants du primaire.

De fait, les inégalités persistent. En raison de l’ISOE, mais aussi en raison d’un avancement beaucoup moins rapide des PE et d’un taux d’accès à la hors-classe beaucoup plus faible. L’impossibilité pour les PE d’effectuer des heures supplémentaires explique également la différence de rémunération réelle entre les PE et les certifiés.

Dans les années 2000, de nombreuses études comparatives entre les différents systèmes éducatifs des pays membres de l’OCDE mettent au jour une bien triste réalité pour l’école française : un investissement très inégalitaire de l’État dans le primaire, le secondaire et le supérieur, très largement en défaveur du primaire. Ce qui va de paire avec une dévalorisation de la rémunération des PE : alors que les PE français•e•s font plus d’heures que leurs homologues allemand•e•s, le salaire des PE allemand•e•s est quasiment le double du salaire des PE français•e•s ! Et la France au lieu de rattraper son retard... gèle le salaire de l’ensemble des fonctionnaires à partir de 2010. Résultat : le pouvoir d’achat des enseignant•e•s français•e•s en général, et des PE en particulier, dégringole (déjà -20% de 1981 à 2004, -10% depuis 2010...). Il faut donc relativiser cette revalorisation bien tardive de l’ISAE.

Mais je t’entends déjà me dire, camarade PE, que je vois le mal partout et qu’après tout rien n’obligeait le gouvernement à faire cette fleur aux enseignant•e•s du premier degré. Tu penses peut-être même que le mail que tu as envoyé à la ministre ou que la pétition que tu as signée ont eu une quelconque influence sur cette décision si magnanime du gouvernement. Je te répondrai donc, camarade PE, que notre ministre était bel et bien obligée de revaloriser cette prime. En voici la démonstration.

Premièrement cette revalorisation avait déjà été annoncée officiellement par notre chère ministre fin 2014. Mais ce qui a rendu réellement nécessaire cette revalorisation, c’est la mise en place cette année du PPCR (Protocole Parcours Carrière et Rémunération) dans la fonction publique qui prévoit notamment dès 2017 une transformation du régime indemnitaire en indiciaire (transformation des primes en points d’indice pour faire court). Or dans l’hypothèse où l’ISOE du second degré serait transformée en point d’indice, cela signifierait que la grille indiciaire des PE ne serait plus alignée sur la grille indiciaire des certifié•e•s... à moins d’augmenter l’ISAE des PE ! L’ISOE comme l’ISAE sont tout bonnement destinées à disparaître et à se muer progressivement en points d’indice (ce qui est une bonne chose, soit dit en passant).

Le gouvernement n’a finalement fait que reculer le plus longtemps possible la revalorisation nécessaire de cette prime qui disparaîtra finalement aussi vite qu’elle est apparue. À toi de voir, camarade PE, si tu as réellement gagné quelque chose dans cette affaire, et si ces 80 euros que tu verras apparaître sur ta fiche de paye à partir de septembre suffisent à te faire oublier que depuis des années, tu te fais bananer !