Le drapeau tricolore et l’hymne national n’ont rien à faire dans nos classes
par
Christopher Pereira
Dans la nuit du 11 au 12 février, les députés ont voté un amendement au projet de loi Blanquer sur l’« école de la confiance » ayant pour objectif de rendre obligatoire en classe la présence d’un drapeau français, d’un drapeau européen et des paroles de La Marseillaise. Ils étaient une quarantaine d’élus à donner leur accord à l’amendement d’Eric Ciotti dont l’engagement droitier au sein des Républicains n’est plus à démontrer. Pourtant, l’affichage de ces symboles républicains constituerait une présence politique et idéologique contraire au concept de neutralité qui devrait régner au sein d’un établissement scolaire.
En effet, dès le lendemain, les médias se sont enflammés autour de cette motion en opposant assez rapidement droite et gauche dans des débats sans réels arguments. D’abord, ils sont partis d’un principe selon lequel la droite est la seule vraie garante des valeurs républicaines. Le nom même donné au parti contribue médiatiquement à cet amalgame. Or, l’adhésion aux valeurs républicaines ne se fait évidemment pas par l’affichage des symboles. D’ailleurs, ce genre d’initiative n’est pas l’apanage des LR. Déjà en 2013, le Parti Socialiste et la loi Peillon imposent le drapeau en façade des établissements. Sa successeuse, Najat Vallaud-Belkacem, ne fut pas en reste avec son « année de la Marseillaise » en 2016. Ainsi, à droite comme à gauche nous trouvons des chantres des symboles républicains pour l’école.
Or, ce n’est pas tant la présence des symboles qui paraît problématique que l’idéologie qui sous-tend ces propositions et, désormais, ces lois. Eric Ciotti ne s’en cache pas lorsqu’il déclare sur France Inter la nécessité « d’aimer la France et de faire aimer la France dès le plus jeune âge » en développant « le sentiment patriotique ». Si les députés de la majorité ont validé cet amendement, c’est qu’ils en partagent la vision et la portée idéologique. C’est la question du rôle de l’école tout comme la question républicaine qui sont posées. Premièrement, de quelle République parle-t-on ? De celle qui réprime dans la violence le soulèvement légitime des Gilets Jaunes contre les inégalités ? De celle qui justifiait les conquêtes coloniales ? Deuxièmement, la République impose-t-elle d’être républicain ? N’a-t-on pas le droit d’être monarchiste, anarchiste, communiste, c’est-à-dire de revendiquer une autre forme d’organisation politique ? Et depuis quand les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité se restreindraient-elles à la République française ?
Ce que l’on observe, c’est un renforcement identitaire de l’éducation qui passe par cette surenchère des symboles républicains. Ces décisions politiques successives tendent à circonscrire des valeurs qui ont une portée universelle, la liberté, l’égalité et la fraternité, à un cadre identitaire patriotique. Ce cadre, poussé à son paroxysme, ferait que ces valeurs seraient indissociables de l’identité française et que ceux qui n’ont pas cette identité ne partagent pas non plus ces valeurs. Cette logique d’exclusion va à l’encontre même des valeurs défendues. C’est pour cette raison que lorsque M. Ciotti défend l’affichage du drapeau français et de l’hymne national, ce n’est pas les valeurs de la république qu’il défend mais bien une idéologie patriotique et conservatrice.
Le rôle de l’école n’est pas de faire aimer la patrie. Le rôle de l’école est d’émanciper par le savoir et de réduire les inégalités sociales. C’est pour cela que l’enseignement doit se faire dans un cadre de neutralité, condition nécessaire au développement d’un esprit critique et à la formation d’un citoyen capable de réfléchir, de décider par lui-même, d’exercer son libre-arbitre. Or ce n’est pas du tout l’objectif du gouvernement qui entend plutôt intensifier une école de reproduction de classes, aggravant ainsi les inégalités sociales. Cet objectif ne passe pas par un drapeau affiché en classe. Il passe par le démantèlement méticuleux de l’enseignement public en proposant des lois qui attaquent gravement le statut des professeurs. On est alors en droit de se demander si cette histoire patriotique n’est pas juste un foulard agité dans les médias pour détourner l’attention sur le fond de la loi Blanquer, une loi profondément autoritaire, libérale et conservatrice qui va de pair avec le dynamitage en règle et généralisé de la fonction publique.