Le « Duruy pregnant gate » … où comment on a voulu priver des enseignantes enceintes de classes dédoublées

lundi 1er octobre 2018
par  Sud éducation 66

Héléna Molin

Tous les ans en fin d’année scolaire, les professeurs des écoles se réunissent en conseil des maîtres pour décider de l’organisation pédagogique de l’année suivante et de l’attribution des classes aux différent·e·s adjoint·e·s de l’école. Un bel exemple d’autogestion qui fait ses preuves depuis des décennies sans que la hiérarchie n’y mette son nez, sauf en cas de désaccord au sein de l’équipe pédagogique. Mais pour cette année scolaire 2018-2019, une IEN des P.O. s’est mis en tête que certains services ne devaient pas être attribués… aux femmes enceintes ! Les collègues de l’école Victor Duruy de Perpignan ne l’ont cependant pas entendu de cette oreille…

Acte I : L’IEN s’en va-t-en guerre
Au début de ce beau mois de juillet 2018, l’équipe de Duruy s’apprête à accueillir un nombre conséquent de nouvelles collègues en raison de l’ouverture des classes de CE1 dédoublées dans cette école REP+. Les services ont été répartis collégialement lors du dernier conseil des maîtres et la directrice de l’école vient d’envoyer le tableau de répartition des services à l’IEN de la circonscription. Deux classes de CE1 dédoublées ont été attribuées à des collègues enceintes.
Le 4 juillet, à deux jours des vacances, l’IEN demande par mail à la directrice de renvoyer un nouveau tableau de services intégrant une modification concernant au moins l’une des deux collègues enceintes : une permutation de son service avec une enseignante à plein temps prévue sur le cycle 3 !

Acte II : les collègues se rebiffent et résistent à la pression
Stupéfaction chez nos collègues devant cette demande qui, au-delà de l’ingérence autoritariste dans le fonctionnement de l’école, constitue une discrimination sexiste non-dissimulée et sans vergogne ! Stupéfaction encore quand, le lendemain, en CAPD, le DASEN soutient son IEN, malgré l’opposition syndicale. Ainsi, ce qui aurait dû être plié en deux temps trois mouvements tant l’erreur était grossière, devint un véritable feuilleton qui a bien pourri l’été de nos collègues : lettre de contestation de l’équipe au DASEN, puis à la Rectrice début juillet, envoi fin juillet d’un tableau de répartition des services décidé autoritairement par l’IEN… il fallait des collègues très déterminées et soudées pour tenir et ne pas céder face à la pression !

Acte III : l’administration cède face à des collègues sûres d’être dans leur bon droit
Les collègues décident donc de ne pas prendre en compte le tableau renvoyé par l’IEN et demandent une audience à la DSDEN. Quatre représentantes de l’équipe sont reçues, qui doivent subir la logorrhée et les attaques larvées dont nos hiérarques ont le secret, avant de tout simplement obtenir gain de cause. La hiérarchie était en effet en tort à 100 % depuis le début de cette affaire et tentait seulement de sauver la face.

Ce que dit la loi…
En effet l’article 2 du décret n°89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d’école est très clair : «  Après avis du conseil des maîtres, [le directeur d’école] arrête le service des instituteurs et professeurs des écoles  ». Autrement dit c’est le/la directeur·rice qui est décisionnaire sur cette question. Toute tentative d’un·e IEN de s’immiscer dans la décision est au mieux un coup de pression, au pire un funeste abus de pouvoir. Dans le cas d’espèce, l’ingérence de l’IEN, par principe non réglementaire, se double d’une discrimination sexiste explicite. L’administration ne pouvait donc que céder. Encore fallait-il résister !

Une simple question de pression et de rapport de force
Cette affaire est exemplaire parce qu’elle montre à quel point notre hiérarchie a l’habitude d’user du manque de connaissances que les collègues ont de leurs droits, ou du pouvoir réel de chaque chaînon de la hiérarchie, pour imposer des décisions qui outrepassent leurs prérogatives, notamment dans les domaines de l’évaluation, des outils pédagogiques…
La hiérarchie a ici essayé d’user de techniques classiques qui ont prouvé leur efficacité : dilution du conflit dans le temps, pressions ciblées sur des maillons supposés faibles, tentatives de divisions… Les collègues de Duruy ici ont résisté grâce à leur cohésion et à leur détermination, mais la plupart du temps, les équipes cèdent rapidement.

Multiplication des postes à profils : on a vraiment de quoi s’inquiéter !
Cette affaire nous interroge également sur la multiplication des postes à profil et des tentatives de contournement du mouvement, qui ne peuvent que dégrader considérablement les conditions de mutation de la majeure partie des collègues (ceux qui ne sont pas dans les petits papiers de l’Inspection), tout en accentuant le pouvoir de l’administration sur les enseignant·e·s.
Imaginez en effet notre IEN dans l’Hérault, département où les affectations des PE sur les classes de REP dédoublées se sont faites l’année dernière sur profil : nos collègues enceintes n’auraient tout simplement pas obtenu ces postes et l’administration n’aurait pas eu à justifier sa décision ! À tou·te·s ceux·celles qui croient encore que le profilage permet de sélectionner les collègues les plus motivé·e·s et compétent·e·s, nous espérons que cette fiction leur montrera à quel point les risques de copinage, de prime à la “loyauté” et surtout de discrimination (syndicales, sexistes, âgiste…) de cette modalité de recrutement suffisent à préférer les bons vieux systèmes du mouvement et de l’autogestion des services dans les écoles, qui seuls garantissent l’égalité de traitement entre les collègues.

Morale de l’histoire : ne jamais donner un blanc-seing à l’administration !
Les abus de pouvoir ne sont pas une fiction inventée par nos esprits fumeux de syndicalistes : ils existent, il faut savoir les repérer et y faire face. Les abus de pouvoir ne sont pas une fatalité, mais ils prospèrent si on laisse faire !
Chèr·e·s collègues, nous ne pouvons que vous inviter à contacter un syndicat si vous avez des doutes sur la légalité d’une demande de l’administration. Elle n’a pas tous les droits, son pouvoir est limité par des textes de loi.
Nous ne pouvons que vous inviter à participer aux RIS ou HIS, ainsi qu’aux formations syndicales juridiques, celles qui vous informent sur vos droits, car ces formations-là, ce n’est pas l’administration qui vous les offrira : son pouvoir se nourrit en effet de votre ignorance.
Nous ne pouvons enfin que vous inviter à ne pas vous laisser embobiner par la novlangue de “l’école de la confiance”. La relation avec la hiérarchie n’est pas une question de confiance, mais une question de droit, de devoir, de pouvoir et de responsabilité définis par la loi.
La confiance, c’est pour les amis, pas pour la hiérarchie !