Lettre ouverte à Madame la Ministre de l’Éducation sur les professeurs contractuels

vendredi 16 septembre 2016
par  Sud éducation 66

L. V.

Madame la Ministre de l’Éducation nationale,

Je suis enseignante contractuelle depuis octobre 2000. Titulaire d’une licence de lettres modernes, j’enseigne essentiellement le Français au collège. Afin que vous parveniez à imaginer à quel point la précarité est difficile à vivre, je tiens à vous parler de mes conditions de travail.

Depuis 16 ans je vis dans l’incertitude. Mes vacances n’en sont pas vraiment. Je suis sans cesse étreinte par l’angoisse soit d’être au chômage, soit d’arriver en fin de droits. Ensuite, comme le rectorat me rappelle chaque année, je dois faire face à une autre forme d’appréhension : le sempiternel sentiment de nouveauté, la perte de repères, tout à refaire… apprendre à m’orienter dans les locaux, repérer l’endroit où se rangent mes élèves, errer dans la cours de récréation à leur recherche, retenir les nouveaux codes informatique, m’adapter au fonctionnement du nouvel établissement, tenter de m’intégrer à l’équipe éducative, toujours provisoirement. Et surtout, subir le «  grand test  » de la part des élèves qui cherchent les limites durant de longues semaines et qui parfois ne font aucun effort, sachant que je ne suis que de passage. Trois mois par-ci, six mois par-là, en Lozère, en Andorre et, depuis que mon fils est né, je sillonne le département. J’ai accepté des classes de niveaux très variés, de la SEGPA à la classe de seconde en passant par tous les niveaux du collège et le lycée professionnel. J’ai enseigné principalement le Français, mais j’ai dû aussi m’improviser professeur d’Histoire-géographie, de Latin et d’Arts plastiques. Quel manque d’ambition pour les jeunes ! Je suis sûre que leurs parents seraient ravis d’apprendre qu’ils ont, face à eux, des professeurs non formés à la matière qu’ils enseignent…

Et puis à nouveau, le chômage, la menace du RSA, envisager de quitter mon appartement, de vivre en caravane et ne plus être en mesure d’assumer la garde de mon fils… Heureusement, à chaque fois, le service de la DPE du rectorat m’appelle juste avant que je sois obligée d’en arriver là.

Bien sûr, j’ai passé le CAPES plusieurs fois. Plusieurs fois, je me suis rendue à Lille alors que je vis dans le sud de la France. J’ai éprouvé le stress de l’examen, l’angoisse du face à face, la peur de l’erreur qui survient, fatalement… pour échouer, de peu, à l’oral.

Les échecs successifs m’abîment, je décide ne plus me présenter à l’épreuve pendant quelques années car j’ai besoin de retrouver confiance en moi, j’ai besoin de toutes mes forces face à des classes d’une trentaine d’adolescents.

Pour préparer le Capes comme il se doit, il aurait fallu que je consacre une année complète aux études, mais il y a la vie, le travail, mon fils, ses devoirs qu’il aurait fallu que je néglige.

J’ai bien essayé de me recycler mais, le «  bilan de compétences approfondi  » a confirmé que mon profil correspond à celui d’une enseignante. Sans compter que je me sens à ma place dans cette profession. J’ai appris mon métier «  sur le tas  », au contact de mes collègues, des IPR, en lisant des livres et en écoutant les élèves.
Pour finir, laissez-moi vous expliquer rapidement ce qu’il advient des personnels précaires : à force de s’adapter, on se déshumanise, on évite de créer des liens avec les collègues, on s’isole, on évite de faire des projets, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Sans compter les dégâts sur notre entourage proche qui subit notre état de stress au quotidien.

Pourtant, je suis toujours à la hauteur des tâches que l’on me confie : lorsque, chaque fin d’année, je renouvelle ma candidature, les chefs d’établissement me soutiennent par un avis favorable ou très favorable. Puisque nous fournissons le même travail que nos collègues titulaires, pourquoi nous réserve-t-on un tel traitement (dans tous les sens du terme) ?

Je suis loin d’être la seule dans ce genre de situation, je souhaite que nous soyons titularisés afin de travailler dans de bonnes conditions.

Merci, Madame la Ministre, d’invoquer l’humain qui est en vous afin de traiter comme il se doit ces humains que sont les personnels précaires.