MASTERISATION SUITE... À QUELLE SAUCE LES PROFESSEURS-STAGIAIRES DU SECOND DEGRÉ VONT-ILS ÊTRE MANGÉS À LA RENTRÉE 2010 ?

lundi 15 mars 2010
par  Sud éducation 66

Par Anne-Julie Borne

La réforme de la formation des enseignants, nommée masterisation, doit s’appliquer à la rentrée prochaine. Depuis cet été, le gouvernement distille les mesures d’application : recrutement au niveau master, contenus de ce nouveau « diplôme d’éducation », contenus du nouveau CAPES, calendrier des épreuves. Le 25 février, c’est une note d’information de 6 pages qui vient d’être envoyée par le ministère aux Recteurs et Inspecteurs d’Académie. Objet : que vont devenir les lauréats du concours 2010 du primaire et du secondaire ? Et bien dans le secondaire, ils seront nommés à plein temps dans un établissement au lieu d’un tiers temps jusque là ! Si de nombreuses zones d’ombres demeurent, avec cette dernière circulaire, ce qui se confirme c’est une liquidation de l’essentiel de la formation des enseignants et, bien au-delà, un bouleversement fondamental du système éducatif : territorialisation de la formation des profs, pouvoir accru du chef d’établissement et des recteurs, précarisation, le tout sur fond d’économie budgétaire et d’idéologie réactionnaire.

Pour revenir en détails sur cette réforme et en livrer une synthèse efficace, je prendrai l’exemple d’un étudiant en Lettres modernes, qui se destine au beau métier de professeur de français.

Jusqu’à l’année dernière, une fois sa licence de Lettres en poche (bac +3), mon étudiant se consacrait à la préparation du concours l’année suivante. Heureux lauréat, il effectuait alors son année de stage rémunéré. Il se voyait confier par exemple une classe de cinquième et du soutien pour compléter son service d’en moyenne 6 heures. Le temps restant était dévolu à la formation en IUFM (institut universitaire de formation des maîtres), à un stage en lycée, à l’observation des cours de son tuteur, à la réflexion sur sa pratique. Certes, les cours à l’IUFM se vivaient avec plus ou moins de bonheur, mais cette véritable formation en alternance permettait de prendre le recul nécessaire à un réel apprentissage d’un métier qui n’a rien d’inné.

A la rentrée 2010, toujours titulaire d’une licence de Lettres, mon “étudiant venu trop tard” ne pourra prétendre au CAPES que s’il prolonge ses études par un master de deux ans. En master 2, la cinquième année d’étude qui n’est plus un stage rémunéré, il devra mener de front la préparation au concours (dont l’écrit se passera dès novembre) ainsi que la validation de son master.

L’association « Sauvons l’Université » a tout de suite alerté sur les contenus du master : « Le 21 décembre 2009, une circulaire précisant les grandes lignes des masters préparant aux métiers de l’enseignement énonçait une série de principes contradictoires qui aboutissent à un master “rien en un” ou “un petit peu de tout pour faire semblant” ». De même pour le CAPES : « Le 28 décembre 2009, les épreuves des concours sont enfin redéfinies dans un arrêté : tous les concours sont formatés au rabais, par modification des programmes et diminution du nombre des épreuves (et par là même des domaines de savoir requis). Mais ils intègrent tous une nouvelle épreuve, “agir en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable” – montrant ainsi qu’ils serviront à sélectionner les agents les plus obéissants et non les plus compétents. »

Gâteau sur la cerise, en cette confortable année, mon cobaye, se verra proposer un stage en responsabilité de 108 heures rémunéré 3000 euros. C’est terriblement tentant pour un étudiant sans le sou, désireux de se confronter au métier. Il effectuera tout bonnement un remplacement pouvant aller jusqu’à 18 heures pas semaine, seul en piste face aux élèves, avec un vague tuteur dans l’établissement. Très pratique, cela permet de palier ces fameuses absences de professeurs sous le couvert de tester une vocation ! Les anciens maîtres-auxiliaires ou les vacataires actuels connaissent bien cette situation pour l’avoir eux-même éprouvée. De là à en faire la règle pour tous ! Enseigner est donc un métier qui ne s’apprend pas puisqu’on enverra un étudiant à peine accompagné faire le travail de professeur face à de vrais élèves. Cette année de transition a déjà vu la mise en place de ces stages, en particulier dans le primaire (où la même réforme se met en place), et l’on a déjà des témoignages éloquents. On s’en doutait, l’expérience laisse des traces. Anna qui prépare le concours de professeur des écoles rapporte un conseil donné avant son stage par un prof d’IUFM : « surtout ne dites pas aux parents que vous n’êtes pas profs ». Les élèves, eux, ont compris très vite qu’elle était débutante et l’expérience a tourné au fiasco !

http://classes.blogs.liberation.fr/soule/2010/02/surtout-ne-dites-pas-aux-parents-que-vous-nêtes-pas-profs.html

S’il est recalé au concours, mon néo-précaire pourra d’ailleurs poursuivre dans cette voie et être embauché comme enseignant contractuel. La mise en place de ce master est l’occasion rêvée de nourrir un important vivier de personnels ayant un haut niveau de diplôme universitaire et se destinant à l’enseignement, vivier que les recteurs ont bien du mal à alimenter demandant aux chefs d’établissement de repérer dans leur entourage des personnes susceptibles d’effectuer des remplacements et les autorisant à les recruter d’eux-mêmes. Tout est en place pour embaucher massivement des précaires !

S’il décroche le concours, mon “heureux presque fonctionnaire venu trop tard” sera nommé désormais sur un service de 18 heures. Par exemple, en français, il prendra en charge deux cinquièmes et deux quatrièmes (contre une classe, rarement deux précédemment). C’est ainsi l’équivalent de plusieurs milliers de postes qui sera économisé chaque année.

Dans une lettre ouverte, les professeurs-stagiaires de l’Académie de Créteil dénoncent cette formation au rabais : « Dès la rentrée prochaine, les stagiaires assureront un service d’enseignement à temps plein devant les élèves, sans formation digne de ce nom et sans accompagnement susceptibles de les guider dans leur nouvel univers professionnel. Ils seront privés de la possibilité de réfléchir sur leurs pratiques pédagogiques et de les analyser, de devenir des professeurs responsables donnant du sens aux contenus qu’ils enseignent. »

On ne badine pas avec les moyens horaires et tant pis si ce sont de pauvres stagiaires qui en font les frais. De la formation, oui mais… sur le tas, utile ! Ou en plus, sur du temps qui serait libéré dans la semaine en regroupant les cours du stagiaire sur quatre jours. À qui cela fait-il peur, 6 ou 7 heures de cours d’affilé ? Pas à un débutant quand même, il est tout frais ! Certes, rien de tel n’est écrit dans les principes généraux (très généraux) de la note de cadrage, mais elle laisse une marge importante d’interprétation aux Recteurs et Inspecteurs d’Académie qui sont invités à s’en inspirer en fonction de leurs spécificités. La circulaire prévoit « des périodes de formation groupées et/ou lissées ». Le volume de la formation et de l’accompagnement auquel aura droit le stagiaire est précisé : un tiers de son obligation de service, mais il n’est surtout pas écrit que cela interviendra pour lui en décharge de cours. Il n’est pas précisé non plus le temps dévolu au tutorat, qui en est partie intégrante, et le temps dévolu à la formation « dispensée à l’université ou dans les organismes en charge de la formation continue des enseignants du privé ». Pas de mention des IUFM...

« Les formations pourront porter sur des thématiques transversales et disciplinaires, qui répondront à la demande des stagiaires et aux besoins repérés par les tuteurs et les corps d’inspection. » Le ministère de l’éducation nationale ne se mouille pas quant aux contenus. Il délègue toutes responsabilités aux académies !

À l’occasion des formations, notamment lorsqu’elles sont groupées, le stagiaire quittera malgré tout ses classes. Dans ce cas, le chef d’établissement est invité à puiser dans son vivier de remplaçants. Il n’y a plus beaucoup de TZR mais des vacataires ou des étudiants en en deuxième année de master oui ! La boucle est bouclée. Les étudiants en M2, sont donc aussi voués à remplacer les professeurs-stagiaires, le tout sous la houlette d’un professeur enseignant dans l’établissement qui ne pourra compenser les carences de cette nouvelle formation. Et pourtant c’est désormais sur lui que l’on compte essentiellement pour former la relève... « Les collèges et lycées qui accueilleront des personnels stagiaires disposeront en leur sein ou à proximité d’enseignants expérimentés et volontaires. »

Ainsi, pour bloquer la mise en place de cette réforme, refusons collectivement de jouer le rôle de tuteur des étudiants n’ayant pas eu le concours, des lauréats de concours qui seront placés en responsabilité à temps plein, faisons voter en Conseil d’administration une motion du type :

« Nous, personnels du... nous opposons à la mise en place à la rentrée 2010 de la réforme du recrutement et de la formation des enseignants. Nous considérons qu’elle constitue une dégradation de leur formation et par là une diminution de la qualité du service public.

Nous dénonçons le fait que nos collègues reçus aux concours soient nommés directement sur un poste à plein temps pendant leur année de stage tout en étant privés d’une véritable formation en alternance.

Nous dénonçons le fait que des étudiants n’ayant pas encore le concours se voient confier des classes en responsabilité.

Nous dénonçons le recours à des personnels vacataires pour remplacer les stagiaires pendant leur période de formation.

Nous pensons en outre que cette réforme se fera au détriment des élèves qui verront se succéder au cours de l’année, un vacataire ou un TZR, un professeur stagiaire, un étudiant.

Dans ces conditions, nous ne pouvons accompagner convenablement l’entrée dans le métier de ces professeurs stagiaires et refusons d’être tuteurs. »

Appel à signer la pétition 100000 voix pour la formation des enseignants : http://www.100000voixpourlaformation.org/