Les premiers de cordée

lundi 18 juin 2018
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

Le 22 mai en début de soirée, les quelque 810 000 candidats à une orientation ou une réorientation sur Parcoursup recevaient des réponses à leurs vœux. La moitié obtenait une réponse positive sur un de leurs vœux, les autres non. Parmi ces derniers, 29 000 n’obtenaient que des réponses négatives. Depuis, un peu plus de 5000 ont sollicité les Commissions régionales académiques d’accès à l’Enseignement supérieur (CRAAES) chargées de traiter leur cas. Nul doute qu’ils seront, comme leurs camarades, en attente dans les meilleures conditions psychologiques pour passer leur baccalauréat. Une semaine après, ce sont les deux tiers qui avaient reçu au moins une réponse positive sans qu’on sache s’il s’agit de leur vœu principal puisque Parcoursup ne permet pas de les classer. Le ministère communique, efficacement relayé par la presse favorable aux contre-réformes du gouvernement, pour vanter l’efficience de la nouvelle plateforme qui remplace APB dont le seul tort était d’être incapable d’inventer des places dans le supérieur que les gouvernements successifs se refusaient à créer. La funeste invention du tirage au sort avait créé le scandale nécessaire pour justifier une réforme dont le sens ultime est l’accroissement de la hiérarchisation.
En effet, le premier effet de Parcoursup est de faire le tri entre les élèves qui n’auront eu que des réponses positives, les premiers de cordée, et les autres. Certes, le système éducatif jusque-là n’était pas, loin s’en faut, égalitaire. L’opposition entre filières sélectives et l’université existait. Toujours est-il que toutes les universités, en droit, permettaient à nombre d’élèves d’y faire un parcours qui pouvait être excellent sans préalable à l’entrée. Ce que Parcoursup prépare, c’est l’opposition entre les élèves à l’entrée de l’université.
Le deuxième effet, lié au premier, est de produire un classement des universités par la demande. La presse a commencé à établir ainsi une hiérarchie des universités. Les blocages expliquent même pour certains journalistes pressés pourquoi quelques universités sont moins demandées que d’autres. Et pourtant, la plus demandée a été bloquée. C’est oublier que jusque-là, les futurs étudiants étaient contraints à demander en priorité les universités de leur académie. La première conséquence est l’apparition de réputations qui ne pourront que s’amplifier au fil des années. La seconde, c’est qu’en pouvant choisir de meilleurs étudiants – au moins potentiellement – les universités participent au tri social. L’origine des lycées peut être prise en compte. Ce n’est pas un baccalauréat qui comprendra une part de contrôle continu qui diminuera cet effet.
Le troisième effet est d’habituer tout le monde à la sélection. D’aucuns ont reproché à Parcoursup de générer du stress chez les élèves. C’est méconnaître l’ultime fin du système. Comme les réponses positives dépendent du dossier scolaire, notes, mais aussi activités périscolaires (football ou tennis, équitation ou rien), des lettres de motivation (la constitution d’un dossier pour Parcoursup peut se faire grâce à une officine privée – 560 € pour une prise en charge complète ou bien 910 € pour dix séances de conseil en orientation –), etc., seuls les premiers de cordée pourront passer leur baccalauréat tranquille puisqu’ils auront leurs vœux satisfaits. Ce sont les moins que rien, les ratés, ceux qui auront eu l’avis « _peu démontré_ » par les chefs d’établissement qui seront stressés. Ils n’auront eu que ce qu’ils méritent. Même leur demande de logement dans les CROUS pose problème puisque la date limite de demande précède la réponse pour ceux qui sont encore en attente. Alors que le baccalauréat effaçait tout le passif de la scolarité au lycée, le nouveau système conduit à ce fameux continuum, dont certains rêvent, du bac moins trois au bac plus trois qui devrait permettre d’accentuer le tri scolaire. Est-il besoin de préciser quelles sont les classes qui ne s’y retrouveront pas ?
Pour les derniers de cordée, la communication gouvernementale prévoit une nouvelle revalorisation du baccalauréat professionnel. Il y aurait beaucoup à dire sur l’antienne de la revalorisation de l’apprentissage lorsqu’on sait que la bourgeoisie française, dans la foulée de la Révolution française, a détruit volontairement l’apprentissage qui existait dans les corporations (tout comme la bourgeoisie anglaise) alors que la bourgeoisie germanique, entrée plus tard dans le capitalisme, l’a utilisé à son plus grand profit (en Allemagne, le tri s’effectue après quatre ans d’école primaire où seuls les premiers de cordée vont au Gymnasium, c’est-à-dire au lycée_ ; les autres vont dans différentes écoles plus ou moins professionnelles en fonction de leurs résultats, les derniers ayant droit à l’apprentissage). Si la bourgeoisie française voulait de l’apprentissage, il y a belle lurette que l’école de la république lui aurait fourni les troupes nécessaires. Le baccalauréat professionnel durait quatre ans. La réduction à trois ans a diminué le temps d’assimilation des métiers. Aussi le ministre veut-il le réduire à deux puisqu’une seconde professionnelle plus générale conduira à diminuer le temps consacré au métier. Nul doute que les chiffres d’insertion sur le marché du travail prouveront dans quelques années qu’une nouvelle réforme est nécessaire. Blanquer n’a-t-il pas réformé le baccalauréat Chatel dont il était le numéro 2 ? L’effet le plus apparent, c’est la baisse des heures d’enseignement général (16 % d’heures en moins en trois ans en mathématiques, 13_% en lettres histoire). Pour les quelques bacheliers professionnels qui voudront entrer à l’université dans quelques années, on imagine sans peine leur classement sur Parcoursup.