Quand M. Blanquer s’adresse aux professeurs des écoles

lundi 17 juin 2019
par  Sud éducation 66

Alexandrine Gerrer

«  Conclusion du Grand débat – lettre de M. Blanquer aux professeurs des écoles  » : lorsque j’ai vu l’intitulé de ce courrier dans ma boite mail professionnelle, je me suis dit : «  Voyons voir de quoi il retourne ?  ». Eh bien, je n’ai pas été déçue ! Ou plutôt si : rien n’a changé, c’est toujours le même discours, et rien ne va changer qui ne soit déjà en route…

Rien n’a changé
Toujours la même grandiloquence avec des formules qui en jettent en première lecture mais ne tiennent pas une analyse un peu plus fine.
-  «  l’école pilier de l’avenir, vecteur du progrès collectif  » : sans commentaire…
-  «  lutter contre les inégalités culturelles  » : je ne vois pas bien ce que cela veut dire ; heureusement que la culture n’est pas la même partout, elle est diverse et c’est tant mieux, nous avons besoin de cette diversité ! Il s’agirait plutôt de lutter contre les inégalités d’accès à la culture.
-  «  effort budgétaire considérable  » : il est donné en termes de nombre de postes (2 300, ce qui paraît ridicule au vu du nombre d’écoles et du manque criant d’enseignants un peu partout), mais pas de chiffres pour le «  contexte de baisse démographique  », d’autant que pour cette année encore, on assiste en réalité à une baisse du nombre de postes : - 1000 pour le CRPE public… mais + 300 pour le concours privé ! Peut-être le Ministre devrait-il désormais préciser qui, de l’école publique ou de l’école privée, bénéficiera de cet «  effort budgétaire  » ?
-  «  améliorer le taux d’encadrement à chaque rentrée du quinquennat et dans chaque département  » : c’est un bel effet d’annonce mais à court terme puisque le quinquennat est déjà bien entamé. Et ensuite, que se passera-t-il ? Pour le taux d’encadrement, c’est lié à l’allègement des effectifs annoncé (voir ce que j’en dis un peu plus loin) ;
-  «  l’École de France  » : sans commentaires…
-  «  une École qui transmette des connaissances et des valeurs qui portent nos élèves au meilleur d’eux-mêmes  » : parce que ce n’est pas déjà le cas ? A-t-il besoin de (se) le redire pour en être sûr ?
Toujours cet auto-satisfecit qui se pare parfois d’un peu de pommade pour les professeurs : «  saluer le travail accompli […] la mobilisation pédagogique […] votre professionnalisme […] votre engagement constant pour la réussite des élèves  »
Quel serait cet enseignant qui ne s’occuperait pas de la réussite de ses élèves ? Et de quelle réussite est-il question ?
«  l’École de France sait être réactive et déterminée pour se placer aux avants-postes  » : n’est-il pas en train de parler de lui ?
Sans parler du topo sur la réussite des évaluations, pourcentages à l’appui. Comment M. Blanquer ose-t-il se gargariser de cela quand on sait les pressions qu’ont subi les collègues pour les faire passer et remonter les résultats ! C’est sûr qu’on peut les féliciter de les avoir fait passer malgré l’inadéquation patente des exercices et du timing à la réalité des classes, le manque total de considération du professionnalisme des enseignants qui est sous-jacent et le peu de reconnaissance du temps nécessaire au traitement purement administratif de cette paperasse.
Une adéquation à la réalité qui fait peur : «  pour réduire les inégalités culturelles, sociales et territoriales  », la solution proposée est de «  lutter efficacement et durablement contre l’échec scolaire  ». Serait-ce suffisant ? Tout faire reposer sur le dos de l’École me semble bien prétentieux et bien dangereux. Quid des politiques de la ville, par exemple ? Ne seraient-elles pas plus à même de réduire une grande part de ces inégalités ?

Rien ne va changer qui ne soit déjà en route
Allègement des effectifs dans des zones ou des niveaux ciblés au détriment des autres puisque l’augmentation du nombre de postes annoncée est ridicule par rapport aux besoins engendrés.
Les écoles rurales ne vont pas voir leurs conditions s’améliorer puisqu’elles sont toujours considérées comme un réseau et non comme des entités à part entière (parle-t-on de réseau d’écoles en milieu urbain ?) et les fermetures ne vont pas disparaître.
Les savoirs fondamentaux restent «  lire, écrire, compter et respecter autrui  », faisant table rase de toutes les recherches et pratiques qui ont montré la nécessité d’inscrire ces savoirs dans des champs disciplinaires et relationnels plus larges, pour donner accès au monde dans sa réalité et sa complexité.

Tout cela, teinté d’un patriotisme de mauvais aloi : «  notre identité républicaine  », «  socle de l’unité de la France  »… et surtout «  l’École de France  » avec un grand E !
Bien que le ton s’adoucisse en fin de lettre, qu’il y soit enfin question du ressenti de l’enfant (même si c’est pour justifier l’appellation «  école de la confiance  ») et de son épanouissement (ouf ! Il n’y a pas que la réussite scolaire, alors ?), quand il est question d’«  accentuer nos efforts  », je n’ai pas confiance : j’ai peur.
Et ce n’est pas la lecture annoncée pour occuper mes vacances et ma rentrée (circulaire de rentrée, plusieurs documents mis à notre disposition avant la fin de cette année, guides et recommandations, diffusion de nouvelles ressources à l’automne)(1) qui me rassure ni même me donne envie de continuer…

(1) tous ces ouvrages et documents écrits par on ne sait trop qui pour la plupart, mais certainement pas par des enseignants de terrain «  de base  ».