QUAND ON PARLE DU POUVOIR D’ACHAT AU 20H00 DE FRANCE 2

lundi 9 mai 2005
par  Sud éducation 66

Jeudi 10 mars 2005, le journal de 20 heures de France 2 s’ouvre sur les manifestations du jour et leur mobilisation record pour la défense des 35 heures et des salaires. Le reportage qui suit (4 minutes) insiste en introduction sur les revendications salariales : « Les slogans sur les salaires ont pris le pas sur tous les autres depuis les dernières manifestations… Pour tous les manifestants, la priorité c’est bien le pouvoir d’achat ». Après un autre reportage (4 minutes) sur les grèves - c’est-à-dire en fait les problèmes dans les transports parisiens - et encore un sujet (2 minutes 30) sur quelques écoles du midi (avec et sans grève), la première page se conclut avec un commentaire d’Agnès Molinié sur l’évolution du pouvoir d’achat des salariés (1 minute 30) et 30 secondes pour évoquer les réactions du gouvernement.

Aux environs de 20h30, le même journal diffuse un reportage sur un nouveau marché, il s’agit « des produits destinés aux minorités ethniques ou religieuses : viande Halal pour les musulmans, coiffure afro pour les antillais ou les africains ». « Le pouvoir d’achat de ces minorités est en hausse il faut donc s’adapter » conclut David Pujadas dans son introduction. Suit un reportage qui se termine par cette phrase : « Des communautés dont le pouvoir d’achat, ces dernières années, n’a cessé d’augmenter ».

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Le pouvoir d’achat des salariés stagne mais celui de « certaines communautés » ne cesse d’augmenter. Il fallait y penser. France 2 l’a fait et l’a répété, au cas où certaines oreilles distraites qui attendent les pages sport n’auraient pas bien entendu. Inutile de préciser que ces prétendues informations sur le pouvoir d’achat des communautés relèvent de l’invention pure et simple : à la différence des Etats-Unis, l’appartenance ethnique (et la confession religieuse encore moins) ne sont pas identifiées dans les catégories statistiques en France. Aucune statistique sur les salaires ou les revenus ne permet d’isoler ces « communautés ».

Dernière précision. Pour faire bonne mesure sur la question du pouvoir d’achat, juste avant le reportage sur les « minorités ethniques ou religieuses », un autre sujet de 2 minutes 30 nous parlait des « retraités français qui sont de plus en plus nombreux à faire leurs bagages pour aller vivre plus au Sud, très exactement au Maroc ». Pourquoi ? Mais pour augmenter leur pouvoir d’achat voyons ! C’est précisément par ces mots que débute le reportage : « Des français qui s’installent au Maroc par centaines, pour profiter du climat bien sûr, mais aussi de leur nouveau pouvoir d’achat ». Suivent deux exemples. D’abord celui de Danièle, une pauvre « de chez nous » qui vit avec moins de 500 € (20% de moins que le seuil de pauvreté INSEE) : « Ici, elle peut même se permettre d’avoir du personnel de maison ». Puis vient l’exemple de Joëlle et Ali qui ont une retraite de 1300 € : « Avec leurs 100 000 € d’économies ils se sont payés un rêve : 850 m2 habitables - bien mieux que Gaymard et sans les 8 mômes en plus, quels veinards ! -, un jardinier et une femme de ménage et tout ça sans impôts ou presque… Ils étaient petits bourgeois en France, ils sont ici des nababs, dans leur palais ». Que voilà un beau message sur les effets de la mondialisation heureuse, n’est-il pas ? Evidemment, le reportage nous fait part aussi des difficultés croissantes des Marocains qui voient les prix flamber chez eux. Mais comme, avec d’autres « communautés », les mêmes font baisser les salaires des Français, cela n’est que juste retour des choses, non ?

Ainsi l’actualité fait bien les choses. Le jour même où les salariés manifestent massivement pour l’augmentation de leur pouvoir d’achat, l’actualité met au premier plan la délocalisation des retraités français au Maroc et l’augmentation du pouvoir d’achat de « certaines communautés ». Si vous ne l’avez pas lu dans vos journaux préférés, c’est parce que les téléscripteurs étaient en panne, bloqués par des corporations en grève. Heureusement, cette engeance ne sévit pas dans les médias audiovisuels. Décidément, il y a un bon Dieu pour le Medef et aussi, mais cela va souvent ensemble, un mauvais génie à la rédaction de France 2. Un pas en avant, deux pas en arrière : la démocratie progresse lentement...mais sûrement à reculons.

Pierre Concialdi
Réseau d’Alerte sur les Inégalités
www.bip40.org/