RETOUR VERS LE FUTUR

vendredi 10 février 2006
par  Sud éducation 66

La crise des banlieues a été l’occasion pour le ministre de l’éducation, tout en persévérant dans la volonté de ses prédécesseurs de démanteler le système public d’éducation, de faire toute une série de propositions qui ne sont rien d’autres qu’autant de pas en arrière. Est-ce simplement parce que l’air du temps serait à la réaction ou bien ne s’agit-il pas plutôt d’un tout autre projet ?

Déjà le 8 septembre dans l’émission « Face aux chrétiens » sur Radio Notre-Dame, il inventait le cercle carré, autrement dit une école privée et confessionnelle qui appartiendrait à école de la République. Il préconisait l’égalité des moyens entre le public et le privé, c’est-à-dire la baisse des moyens.
Quelques voitures brûlées plus tard, des annonces plus réactionnaires les unes que les autres se sont succédées.

Qu’on pense au retour de la bivalence. Certains des prétextes ne peuvent guère tromper. Diminuer le nombre de professeurs devant les élèves, n’est-ce pas justement tout le sens de la politique de recrutement ou plutôt de non recrutement ? Bref, l’intérêt des élèves est toujours invoqué lorsqu’il s’agit de faire des économies de personnel.
L’annonce en fanfare de l’abandon de la méthode globale, outre que Jack Lang l’avait proscrite, ne relève pas simplement de l’amateurisme, mais plutôt de la poudre aux yeux. Il s’agit simplement de faire porter la responsabilité des difficultés des élèves placées dans la désespérance sociale sur les professeurs.
De même, l’annonce de policiers dans les écoles servait simplement à masquer le manque cruel de surveillants. Car, une mesure aussi absurde, immédiatement dénoncée par les syndicats de policiers les plus sécuritaires, n’avait aucune chance de voir le jour.
Quant à la modification de la carte des Z.E.P. – attaquées par le ministre de la répression sociale, Nicolas Sarkozy – elle a certes comme but de faire des économies. Est-il nécessaire de rappeler qu’un élève d’un collège de Z.E.P. coûte moins qu’un élève de lycée et bien moins qu’un élève de classe préparatoire ? Donner plus à ceux qui en ont le plus besoin est purement et simplement un mensonge.
En fait, l’ensemble des mesures ou des déclarations poursuivent un même objectif politique : confier au marché le “service” éducatif. Et pour cela, rien ne vaut la constitution de populations difficiles et en difficultés. Le cas de la proposition de l’apprentissage à quatorze ans est de ce point de vue significatif.

L’ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire à 16 ans modifiait la loi du 28 mars 1882 qui instaura la scolarité obligatoire de six à treize ans, elle-même prolongée jusqu’à quatorze ans par l’article 16 de la loi du 9 août 1936. Elle stipule que cette obligation concerne les enfants des deux sexes, français et étrangers. Depuis la loi Haby du 11 juillet 1975 créant le “collège unique” et la mise en place ultérieure dans les Lycées professionnels des classes qui deviendront les quatrièmes et les troisièmes technologiques, le palier d’orientation vers l’enseignement professionnel a été repoussé de la cinquième vers la troisième. L’évolution du système éducatif français, au moins dans ses intentions affichées, était celle d’une ambition éducative pour tous, d’une élévation du niveau.
La flambée de violences dans les quartiers de relégation de la misère sociale a donné immédiatement l’occasion de présenter un projet réactionnaire de retour au capitalisme du XIXème siècle. Car, l’idée d’un retour à l’apprentissage à partir de quatorze ans montre à l’évidence la volonté de réserver l’éducation à une minorité.

Il ne s’agit nullement, comme d’aucuns pourraient le croire ou font cyniquement semblant de le croire, de permettre à des jeunes qui ne seraient pas “adaptés” à l’enseignement général de trouver une voix de promotion. Comment, à la deuxième ou troisième génération de chômage, de carences éducatives et affectives, être adapté à la discipline scolaire et goûter aux délices de la langue de Cicéron ? Combien d’enfants d’énarques en difficulté iraient en apprentissage à partir de quatorze ans ?
Il s’agit de casse sociale en faisant payer à ceux qui la subissent les effets d’une politique concertée.
Aussi l’idée a-t-elle finalement été transformée. Pourquoi ? Le patronat, en général, n’en veut pas car il a besoin d’une main d’œuvre qualifiée et mature. Or, ce n’est absolument pas une nouveauté. C’est la droite gaulliste qui avait prolongé la scolarité obligatoire, c’est la droite giscardienne qui avait créé le “collège unique”, bref, la disparition de la cinquième comme palier d’orientation correspondait aux besoins économiques.
Si on regarde donc la mesure pondue, elle révèle qu’il s’agit à la fois de se débarrasser de certains élèves en les faisant se promener pendant un an de métiers en métiers et de transformer les professeurs en tuteurs chargés d’accompagner les élèves dans la “vraie vie”, la vie en entreprise. La rémunération qui serait de cinquante euros par semaine, c’est-à-dire moins que la moitié du RMI, ridicule en apparence, s’adresse évidemment à une couche sociale déterminée.

L’année préparatoire à l’apprentissage devrait conduire à signer un éventuel contrat d’apprentissage. Or, rien n’est moins assuré. D’abord parce que rien ne permet de prédire que les entreprises joueront le jeu. Ensuite parce que rien ne garantit que le jeune sera jugé apte à continuer dans cette voix. Bref, si on pense que cette mesure appartient à un ensemble baptisé « égalité des chances », on reste confondu par tant d’impudence.
Quant aux professeurs nostalgiques du conseil de classe de cinquième qui rêvent de se débarrasser de la “racaille”, qu’ils se rassurent : ils la retrouveront bientôt lorsqu’ils feront leur stage obligatoire en entreprise.

Patrice Bégnana