Solidaires

mercredi 15 juin 2016
par  Sud éducation 66

Patrice Bégnana

Depuis plusieurs semaines, des salariés du privé et du public sont mobilisés contre la loi El Khomri. Il s’agit d’une réécriture du code du travail. Ce dernier n’est pas satisfaisant. Il protège insuffisamment les salariés de l’arbitraire. Combien de licenciements a-t-il permis dont le motif avoué par les chefs de grandes entreprises était l’augmentation des dividendes servis aux actionnaires ? Mais pour le néolibéralisme, cela ne suffit pas. Il arrive qu’il protège quelques salariés de licenciements abusifs. C’est donc un frein à l’emploi selon le catéchisme néolibéral dont le credo est : licencie d’abord ! licencie ensuite ! licencie toujours !

Malgré une campagne de communication – le nouveau nom de la propagande – qui occupe tous les médias, les sondages réitèrent le même verdict : l’opinion publique est contre cette loi. Comment être convaincu que c’est en facilitant le licenciement qu’on permet l’embauche ? Ne s’agit-il pas plutôt de mettre au pas les salariés en faisant constamment planer sur eux la menace du chômage ?

Pire : une partie des députés de la majorité est contre. Le gouvernement n’a pas la majorité. D’où son recours à l’article 49.3 qui permet de faire adopter un texte sans discussion sauf si une motion de censure du gouvernement est voté. C’est pour cela que les membres du gouvernement n’ont que les mots de « démocratie », de « république » et bien sûr de « valeurs de la république » à la bouche comme autant de signaux de leur cynisme. Dans le même temps, les prises de position dénonçant les opposants qui bloquent la France, qui la prennent en otage, se multiplient. Pour nos gouvernants, défendre ses droits est criminel.

En quoi la contre-réforme du code du travail nous concerne, nous, personnels de l’éducation ?
Rappelons que les points essentiels de la contestation sont : la facilitation des licenciements par une définition plus large du licenciement économique ; l’inversion de la hiérarchie des normes. Il s’agit de faire primer les accords d’entreprise sur les accords de branche alors que jusqu’à présent, un accord d’entreprise ne pouvait déroger à un accord de branche que s’il était plus favorable aux salariés. C’est l’inverse que prévoit le gouvernement : permettre aux entreprises de réaliser des accords d’entreprise toujours plus défavorables aux salariés sous prétexte d’emploi. En effet, malgré le discours du gouvernement suivi par les syndicats prétendument “réformistes” qui ont avalisé la loi après quelques modifications marginales, cette inversion de la hiérarchie des normes ne contribuera pas à la vie démocratique dans l’entreprise. Elle est encore moins le signe d’une quelconque modernité. Les conseillers du salarié de SOLIDAIRES qui accompagnent les salariés dans leurs démarches et leurs négociations lorsqu’ils sont menacés de licenciements peuvent témoigner de la vie démocratique dans nombre d’entreprises. Elle se résume à des impératifs : « Travaille ! » ; « Obéis ! » ; « Tais-toi ! » qu’accompagne l’argument définitif : « Il y a plein de monde qui attend ton poste ! ». Bref, les salariés vivent quotidiennement le 49.3 patronal.
Il est vrai que le statut de fonctionnaire nous protège. Mais pour combien de temps ? Le ministre de l’économie a déclaré qu’il fallait le faire évoluer. Comprenons : le supprimer ! Nombreux sont les hommes politiques ou les membres des “Think Tank” libéraux pour qui les personnels de l’éducation doivent passer sous un régime de droit privé. Ce que la Suède a fait pour la plupart des fonctionnaires en supprimant l’emploi à vie en 1993 et en alignant sur le privé leur statut. L’idéologie dominante qui règne en Europe y pousse.

Dès lors, se mobiliser contre la loi El Khomri, c’est aussi se mobiliser pour conserver le statut de fonctionnaire qui nous protège. En effet, il permet de ne pas dépendre d’une hiérarchie immédiate et d’assurer un service au public indépendant de toute possibilité de chantage à l’emploi. Cette loi nous concerne donc directement parce qu’elle s’inscrit dans un projet global qui se décline en contre-réformes partielles. Il s’agit de précariser tous les emplois sous le doux nom de flexibilité. Tout salarié, du privé comme du public, doit donner immédiatement à son employeur ce qu’il lui demande ou passer par la case chômage. Se mobiliser contre la loi El Khomri, c’est se défendre.
Et même si cette loi ne nous concerne pas immédiatement, nous avons des parents, des frères ou des enfants qui travaillent dans le privé. La plupart des élèves qui fréquentent les écoles, les collèges et les lycées travailleront dans le privé. Nous vivons dans une société dont nous ne pouvons faire abstraction.

Aussi, la mobilisation contre la loi El Khomri a un motif supérieur à tout autre : nous devons être solidaires.