Stop au Baccalablanquer

lundi 4 octobre 2021
par  Sud éducation 66

Héléna Molin

Parce qu’il est encore temps ! S’il a été possible de mettre en place une usine à gaz aussi vite, nous pouvons la démonter deux fois plus vite afin de retrouver une bonne vieille machine bien mieux huilée. Mais pourquoi revenir à l’ancien ? SUD éducation aurait-il opéré un tournant réactionnaire ? Quels sont donc les méfaits du baccalablanquer ? Ses conséquences sur l’ensemble du système d’éducation et de formation ?
Après deux ans d’expérimentation chaotique, tentons de faire le point et de comprendre la nécessité d’un retour à des épreuves terminales nationales. La Covid 19 nous a en effet épargné la mise en place brutale de cette réforme dont nous avions anticipé une partie des effets néfastes. Une partie seulement, malheureusement. Pour faire notre bilan, nous partirons des intox qu’avait diffusées le ministère pour vendre son nouveau bac à l’opinion publique.

INTOX n°1 : Le baccalablanquer, c’est LA LIBERTÉ de choisir ses spécialités, ses passions !
En réalité, c’est :
- De plus en plus d’établissements qui rétablissent des menus (des groupements imposés de spécialités) pour des raisons essentiellement pratiques liées à l’organisation des emplois du temps.
- Des emplois du temps sur 10 demi-journées au lieu de 9 avec la généralisation des cours le mercredi après-midi alors que les élèves ont moins d’heures de cours.
- Des emplois du temps « gruyère » pour élèves et enseignant·e·s.
- Le retour de la sélection par les maths (un seul niveau de spécialité, très difficile)… et toujours des matières choisies par défaut plutôt que par « passion ».
- Des classes éclatées, parfois plus de 30 enseignant·e·s par classe, des conseils de classe où manquent généralement la plupart des enseignant·e·s de spécialités.
- Un travail d’orientation infaisable, car trop de profils différents au sein d’une même classe.

INTOX n°2 : Le contrôle continu (40 % de la note finale du baccalablanquer) valorise le travail des élèves tout au long de l’année. C’est tellement plus juste !
En réalité, c’est :
- Une pression permanente sur les élèves dès la classe de première, une surestimation irrationnelle de chaque note.
- Des stratégies d’évitement des contrôles, une explosion de la triche, une pression des élèves et des parents sur les enseignant·e·s (et l’administration).
- La tendance à surnoter pour éviter les problèmes de contestation de note.
- La tendance à surnoter dans les enseignements de spécialité pour la rendre attractive auprès des élèves.
- La mise en place de « double-bulletins » dans certains établissements « d’élite » ou non (le privé hors-contrat n’a pas hésité à booster ses résultats au bac 2020 en trafiquant le contrôle continu), c’est-à-dire un deuxième bulletin « surnoté » pour Parcoursup.
- Une sélection devenue très difficile dans le supérieur en 2021 à cause de l’explosion du nombre de très bons dossiers (en raison de la surnotation).
- Et très probablement un poids accru du critère « lycée d’origine » dans le processus de sélection ! Mais impossible de le prouver, les algorithmes sont toujours aussi opaques…

INTOX n°3 : les EC (« évaluations communes » anciennement E3C - « épreuves communes de contrôle continu ») permettent de conserver le caractère national et égalitaire du bac.
Petit rappel pour comprendre : le baccalablanquer, c’est 10 % de « note de livret » (moyenne des bulletins de première et de terminale) et 30 % d’EC (séries d’épreuves de « contrôle continu » - 2 séries en première et 1 série en terminale). Le projet initial de Blanquer, c’était d’ailleurs 40 % de livret et les E3C avaient été négociées par certains syndicats afin de tenter d’éviter les effets pervers du contrôle continu susmentionnés (cf. Intox n°2).
En réalité :
- En 2019/2020, les E3C ont produit un mouvement inédit de grève et de contestation lycéennes (boycott des épreuves par les élèves, blocus…) et un mouvement tout aussi inédit de répression policière, poussant certains chefs d’établissement à des actions ahurissantes comme la séquestration des enseignant·e·s et élèves de première au lycée Montesquieu de Bordeaux dont même les issues de secours avaient été cadenassées !
- Les corrigés des sujets de la banque nationale sont évidemment très vite sortis sur internet, permettant bachotage et triche facile (car ces épreuves sont surveillées dans des conditions de cours normales)
- Les E3C sont finalement pour l’année 2020/2021 devenues les EC c’est-à-dire la même chose, mais en « plus souples », pour l’instant elles n’ont pas été testées car…
- Les EC ont très vite été annulées pour cause de Covid… soi-disant… car on peut se demander si la raison n’est pas plutôt la peur de nouvelles contestations ou encore la prise de conscience que les EC de terminale viennent télescoper la préparation déjà très problématique des épreuves de spécialités de mars…
- Les EC, c’est à peu près 9 millions d’euros (estimation, car le marché est opaque) de dépenses en scanners qui servent à photocopier des copies qui restent dans le lycée et sont corrigées par les enseignant·e·s de ce même lycée, bref du matériel inutile, sans parler de la dépense d’énergie tout aussi inutile pour les personnels administratifs !

INTOX n°4 : Les épreuves de spécialité en mars (33 % du bac), c’est super, ça compte pour Parcoursup !
En réalité, c’est :
- Un stress intense pour enseignant·e·s et élèves, seulement 20 semaines pour boucler le programme pendant l’automne et l’hiver, période de fatigue et de maladies…
- Des élèves qui ne sont pas prêt·e·s, qui n’ont pas le temps de digérer les méthodes et les contenus.
- Des élèves qui n’ont pas de période de révisions à moins de faire partie des chanceux de la zone qui a ses vacances juste avant les épreuves, ce qui au passage crée une forme d’inégalité problématique entre les candidats quant à la préparation de ces épreuves.
Heureusement, la Covid a en partie effacé ces problèmes. Ce n’est cependant que partie remise ! À moins que…
Mais au fait, pourquoi vouloir que le résultat aux épreuves nationales terminales apparaissent dans Parcoursup, alors qu’on a tant fait l’éloge du contrôle continu ? N’avoue-t-on pas là que c’est le seul moyen de déterminer le niveau réel des élèves, car on est bien conscient que le contrôle continu, c’est du vent ?

INTOX n°5 : le Grand Oral, c’est génial ! C’est bien mieux que les TPE !
En réalité, c’est :
- Une épreuve qui compte pour 10 % du bac et dont la préparation représente… 0 % d’heures de cours fléchées pour les élèves !
- Donc un gros cadeau aux boîtes privées de coaching scolaire !
Vous vous dites peut-être que les épreuves de spécialité ont lieu en mars, donc qu’ensuite on a tout le temps de préparer le GO. Que nenni ! Expliquons un peu :
- Le GO porte sur les deux spécialités de l’élève et certes les épreuves écrites ont lieu en mars, mais uniquement sur 2/3 du programme, le reste du programme doit être bouclé au troisième trimestre (nécessaire pour préparer le GO, les épreuves de « rattrapage » du bac et le supérieur)
- Dans les textes sur les enseignements de spécialités, il n’est absolument pas fait mention de la préparation du grand oral — qui n’est donc pas une obligation —, ainsi les élèves seront inégalement préparés, ce sera fonction de l’abnégation de leurs enseignant·e·s de spécialité qui effectueront bénévolement un suivi plus ou moins poussé de leur travail de recherche.
- Le suivi d’un travail de recherche par élève est en effet extrêmement chronophage pour un·e enseignant·e seul·e face à cette tâche, or à l’époque des TPE, plusieurs enseignant·e·s suivaient un groupe de trois élèves… avec un horaire dédié !
- Sans parler évidemment de l’entraînement à l’oral en tant que tel qui nécessite lui aussi des heures !
- Et le contenu de l’épreuve, 5 minutes pour vendre un travail de recherche qui aura très bien pu être fait par quelqu’un d’autre, 10 minutes de questions et 5 dernières minutes pour vendre son projet d’orientation/professionnel… et tout ça vaut 10 % du bac, plus que l’épreuve de philosophie (8 %) !

POURQUOI FAUT-IL REVENIR AUX ÉPREUVES NATIONALES TERMINALES DE JUIN DANS TOUTES LES DISCIPLINES ?

- Pour redonner du confort de travail à tous les personnels du lycée et aux élèves mis à rude épreuve ces deux dernières années ! La réforme a surtout eu pour effet d’alourdir les services des enseignant·e·s (plus de classes pour le même nombre d’heures, classes blindées à 35/36, deuxième heure sup’ imposable…).
- Pour retrouver le thermomètre qui permet de s’assurer depuis des décennies que les mêmes programmes seront bien suivis dans tous les lycées de France et que la notation du contrôle continu sera elle aussi comparable ! C’est le thermomètre du bac qui assure l’ÉGALITÉ entre les lycées ! C’est la grande part d’épreuves nationales terminales qui permet de dire que le bac ou la mention obtenu par un élève de Perpignan a autant de valeur que le résultat obtenu à Louis-le-Grand !

COMMENT EN FINIR AVEC LE BACCALABLANQUER ?

En 2019 a eu lieu un mouvement de grève inédit par son caractère quasi sacrilège : une poignée d’enseignant·e·s — peut-être un petit millier, et encore — se mobilisaient et s’auto-organisaient pour bloquer le bac ! Ils ont choisi de retenir les notes afin de mettre fin au projet de destruction du bac et du lycée à des fins de libéralisation du système éducatif voulu par Blanquer.
Les élèves ont-ils été pénalisés ? NON ! Ce mouvement ultra-minoritaire a-t-il eu un impact ? Médiatiquement ÉNORME, sans parler de la grande désorganisation créée le jour des jurys. Les grévistes ont-ils été sanctionnés ? NON ! Ils ont juste perdu 1 à 4 jours pour service non-fait dans l’Académie de Montpellier.
Alors quelle solution ? Quel mode d’action ? Quand on sait que l’organisation du grand oral est un casse-tête pour l’administration (à l’heure où nous mettons sous presse, le 7 juin, le GO commence dans deux semaines, les convocations ne sont toujours pas tombées !), que la période de passation des oraux de français est passée de 6 à 4 jours… Quels modes d’actions envisageables ? On vous laisse deviner ! Le pire, c’est qu’élèves et parents en seraient très certainement soulagé·e·s !