Au Portugal, vers le dégel du point d’indice ?

lundi 17 juin 2019
par  Sud éducation 66

Christopher Pereira

Depuis plusieurs mois, la colère gronde dans les rangs des enseignants portugais. En effet, depuis la crise de 2008, ces derniers connaissent, à l’instar de leurs collègues français, un gel du point d’indice. La conséquence directe en est une baisse constante de leur pouvoir d’achat alliée à des conditions de travail plutôt difficiles.

Pourtant, les professeurs portugais sont plutôt bien payés par rapport à certains de leurs homologues européens. En effet, ils gagnent en moyenne deux à trois fois le SMIC quand en France on atteint à peine une fois et demi le SMIC au bout de dix ans de métier. Prenons un exemple concret : au Portugal, les enseignants peuvent gagner 1400 €/mois quand le salaire minimum dans la fonction publique est d’environ 630 €/mois. En contrepartie, leurs débuts de carrière sont marqués par une grande instabilité. Si, après des études à bac +5, on peut obtenir un statut de professeur, la longue galère pour l’obtention d’un poste fixe commence. Une première année à Porto, une deuxième à Setubal, une troisième à Castelo Branco, une quatrième à Lisbonne et ainsi de suite… Il n’est pas rare de voir un professeur trimballé, à travers tout le pays pendant dix, voire quinze ans, comme une sorte de TZR national. Les conséquences de cette instabilité sont évidentes : sociales d’abord, tant dans le réseau que l’on peine à créer pour s’épanouir personnellement que dans la possible construction d’une vie de famille. Économiques, ensuite, car ces multiples déménagements entraînent des frais, notamment pour des conjoints éloignés l’un de l’autre. Enfin, comme le montre une récente étude menée par la FENPROF et l’Universidade Nova de Lisboa, des conséquences en termes de santé publique, avec des impacts sur la pénibilité du travail menant parfois au burn-out.

Le combat de la FENPROF, principale fédération syndicale enseignante du Portugal, est légitime. Proche de la CGTP (Confédération Générale des Travailleurs Portugais), majoritaire également, elle profite d’une conjoncture favorable aux revendications sociales au Portugal. Les dernières élections législatives ont donné la majorité à la gauche unie autour d’un PS fort, duquel est issu le Premier ministre Antonio Costa, et de deux extrêmes gauches (le PCP et le Bloco de Esquerda) ayant obtenu un nombre considérable de voix (10 % chacun environ). En réaction à l’austérité imposée par l’Union Européenne et la Troïka, le gouvernement portugais met en place une augmentation des minima sociaux, fait un geste pour les retraites, crée des tarifications spéciales pour les transports publics… La situation s’améliore. Il faut cependant se méfier des éditorialistes faisant du Portugal un exemple, car le pays n’est pas revenu à son niveau d’avant 2008 et fait face à une émigration massive de sa jeunesse diplômée avec des chiffres atteignant parfois ceux de la période de la dictature.

La FENPROF agit donc depuis plusieurs mois pour le dégel du point d’indice et le rattrapage des neufs années de gel. Une vive discussion a eu lieu en avril à l’Assemblée, se soldant par un vote en faveur de cette mesure. Nous sommes alors à quelques semaines des élections européennes. Le pays doit proposer un budget. Dans quelques mois, à l’automne, de nouvelles élections nationales vont avoir lieu. C’est dans ce contexte que la fédération syndicale fait pression sur le gouvernement PS notamment par le biais de PCP (lié directement à la CGTP) et le Bloco de Esquerda et ce au prix d’alliances surprenantes, voire contre-nature, avec le PSD (Partido Social-Démocratico) et le CDS-PP (Centro Democratico e Social – Partido Popular), c’est-à-dire la droite, voire la droite dure du Portugal. Cette victoire, quoique temporaire, sur le PS a provoqué un tollé dans la vie politique portugaise, faisant peser le risque d’une nouvelle geringonça (période de désaccords politiques entre les partis de gauche au pouvoir).

Le rattrapage des neufs années de gel de salaire, bien qu’étalé sur trois ans, risque en effet de peser lourd dans le budget du pays. Un autre argument avancé par le PS est que l’obtention des revendications des enseignants ferait un effet «  boule de neige  » sur les autres corps de la fonction publique, effet impossible à satisfaire économiquement. Le PCP et le Bloco de Esquerda dénoncent quant à eux les obscures aides financières accordées, ces dernières années, par le gouvernement aux banques en faillites – à l’image du Banco Espirito Santo – et s’élevant à plus de vingt milliards d’euros. Une somme qui aurait été tout aussi bien investie dans l’Éducation nationale ! Une autre solution, en forme de compromis, aurait été de dépasser le cadre du corps enseignant pour faire un geste envers les véritables précaires de l’Éducation nationale, dont le salaire mensuel est de 640 €, en leur accordant une véritable augmentation du SMIC. Ce n’est pas le choix de la FENPROF, cette dernière étant somme toute assez corporatiste.

Après ce premier vote, le tollé fut donc général. Le ministre du budget Mario Centena puis le Premier ministre Antonio Costa ont menacé de démissionner. Étrangement, cette alliance opportuniste entre PCP – Bloco de Esquerda et le PSD – CDS-PP a été plus mal vécue à droite qu’à gauche. Le PSD s’étant retiré finalement quelques jours plus tard, les partisans du rattrapage du point d’indice ont perdu la majorité, ouvrant la voie à une discussion nouvelle et à un compromis. Nul ne saurait dire le rôle, dans les discussions en coulisse, d’Antonio Costa, fin stratège politique, voire du président de la République Marcelo Rebelo de Sousa. Dans l’attente du résultat des négociations, force est néanmoins de constater qu’entre accords et désaccords, geringonça et débats parlementaires, grèves et manifestations, la démocratie portugaise témoigne d’une belle et intense vivacité !