Grêvons !

lundi 20 septembre 2021
par  Sud éducation 66

Karine Abauzit

Ce 22 février paraissait dans le Webmédia « Lundi matin » un article intitulé « Et après la grève quoi ? Réflexions sur les moyens de lutte et leurs effets concrets dans l’Éducation nationale. »1 Cet article voudrait démontrer que nos défaites viendraient du fait que nous nous trompons de combat quand nous faisons grève et propose d’autres moyens de luttes, comme si l’activité syndicale se résumait à des appels à la grève. Entre autres, il propose de ne pas remplir les dossiers Parcoursup, ne plus mettre de notes et ne plus se rendre aux conseils de classe et attaquer juridiquement l’État. Il développe ensuite sur l’intérêt d’en finir avec les notes et sur la nécessité de l’autogestion. Voici notre réponse à cet article.

D’accord sur la nécessité de réfléchir collectivement sur les moyens de luttes. Cela dit, pourquoi opposer à la grève les moyens de luttes développés dans cet article de Lundi matin ? Il est nécessaire de réaffirmer qu’ils ne sont pas opposés mais complémentaires. Preuve que la grève est utile : c’est la seule action dont ceux et celles qui ne font pas partie de l’Éducation nationale entendent parler. Tout le reste est invisible.

S’adresser aux parents ? Invisible. Pourtant les tractages, réunions publiques, vidéos pour expliquer la loi Blanquer aux parents, nous, enseignant·e·s syndiqué·e·s ou non, l’avons fait. Expliquer aux parents ce qui se passe dans l’Éducation nationale, nous le faisons chaque fois que nous le pouvons.

Quant à l’autogestion, nous y travaillons tous les jours en tant que militant·e·s de SUD Éducation. La classe coopérative, la pédagogie institutionnelle, c’est chaque jour que nous y pensons et tentons de la mettre en œuvre dans nos classes. Par ailleurs, au lycée Jules Fil de Carcassonne, la section SUD Éducation de l’établissement a proposé un conseil – vie scolaire et enseignant·e·s – sans la bureaucratie pour travailler à une meilleure organisation afin de mettre fin aux violences qui ont cours dans ce lycée. Tout cela aussi est invisible de l’extérieur.

De même pour les réflexions sur les notes, les militant·e·s que nous sommes y apportons notre réflexion et nos expérimentations. Chacun·e tente d’améliorer ce système à l’aide de différents moyens : faire réaliser par les élèves les grilles de notation, ne noter que les évaluations au dessus de la moyenne, refaire faire les évaluations aux élèves quand elles sont mauvaises, mettre 20/20 à toutes et tous, multiplier les évaluations pour anéantir la notation, etc. Non, ce n’est pas parfait et, en même temps, une note donne une idée à l’élève de sa réussite à l’évaluation.

En outre il faut être vigilant parce que l’institution se débrouille toujours pour récupérer nos réflexions, nos contestations, pour les retourner contre nous. À titre d’exemple, en ce qui concerne les notes, l’institution a mis en place un système d’évaluation qui se révèle bien pire que la notation : l’évaluation par compétences. En lycée professionnel, les enseignant·e·s des domaines professionnels ont bien compris de quoi il en retournait. Le but est d’individualiser les parcours et de mettre fin aux diplômes afin que les individus se retrouvent seuls face à l’employeur pour négocier leur salaire, car la finalité, oui, c’est bien la fin des diplômes. Ainsi, vos et nos enfants n’auront plus à terme que des blocs de compétences qui ne correspondront plus à rien au niveau des rémunérations discutées dans le cadre des négociations pour les conventions collectives.

De même, sur les bulletins scolaires, des réflexions militantes sont menées mais trop marginales et internes pour être visibles. C’est ainsi qu’un formateur de l’École Nouvelle formait à l’ESPE des centaines de professeurs stagiaires à remplir les bulletins en s’adressant toujours à l’élève et à écrire en premier ce qui est bon pour le valoriser, ensuite ce qui est fragile et ce qu’il faut que l’élève mette en œuvre pour l’améliorer.

Quant à ne pas remplir les bulletins, ne pas se rendre aux conseils de classe… C’est comme pour la grève, cela ne fonctionne que lorsque la majorité s’y met. Et nos défaites viennent bien de là, d’un rapport de force qui n’est pas en notre faveur. À l’Éducation nationale comme partout ailleurs, les militant·e·s y sont trop peu nombreux·ses et la majorité est résignée, voire parfois terrorisée.

Oui, nous avons besoin de prendre le temps d’une réflexion sur les moyens de lutte. Mais dans l’éducation comme ailleurs, cette réflexion doit passer par se demander comment faire pour augmenter le nombre de militant·e·s, redonner l’espoir aux collègues et rendre visible le travail militant. En tout cas, pas en opposant la grève avec les autres moyens de lutte. D’ailleurs pour l’avoir vérifié maintes et maintes fois : tout·e·s celles et ceux qui hurlent en AG ou aux heures d’infos syndicales pour répéter ce mantra « la grève ça ne sert à rien ! », ne nous y trompons pas, ceux et celles-là ne participent pas non plus aux actions hors grève. Aussi, il nous faut continuer à défendre la grève et répéter que c’est la seule action visible et largement collective car souvent nationale. De plus, elle permet à la fois de se libérer des obligations de travail – ce n’est pas si souvent que l’occasion se présente – mais aussi de libérer du temps pour agir syndicalement – tractage, réunions publiques, AG, etc).


1. « Et après la grêve, quoi ? » in Lundi.am, 22/02/2021
https://lundi.am/Et-apres-la-greve-quoi