LES SYNDICATS À LA BOTTE DES MÉDIAS ?
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Quel rapport devons-nous, en tant qu’acteurs du mouvement social ou syndicalistes, entretenir avec les médias ? Il faut tout d’abord revenir sur ce que sont les médias, du moins les médias dominants aujourd’hui. Ce sont avant tout des grandes entreprises de presse. A l’ESJ (Ecole Supérieure de Journalisme), comme le rappelle François RUFFIN dans Les petits soldats du journalisme, on affirme sans complexe « qu’on vend des journaux comme on vend des poireaux ». La presse est un produit, on l’assume. Un lectorat non consommateur n’intéresse pas. La logique est celle du marketing, où il faut « rendre important ce qui intéressant » et non l’inverse. L’information est donc strictement formatée : elle doit être courte, pas compliquée, et surtout coller à « l’actualité ». Voilà le maître mot de tout journaliste qui se respecte : l’actualité. Un sujet pour être traité, pour « intéresser » doit « être dans l’actualité » (terme jamais interrogé, comme allant de soi, alors même qu’on sait bien que l’actualité est construite, par ceux-là même qui prétendent la saisir « objectivement »).
On l’a compris, l’information fournie par les journalistes n’a rien « d’objectif », mais le problème n’est pas tant dans ce manque d’objectivité (aucune information ne peut l’être) que dans le refus de l’assumer, dans une croyance (parfois sincère) en cette sacro-sainte objectivité du journaliste. Pas besoin de « complot » ou de « manipulation » pour expliquer aujourd’hui l’incroyable formatage de l’information et des médias. En fait, les contraintes imposées aux journalistes par leurs employeurs font que la plupart agissent par « réflexe », au détriment de toute réflexion. C’est d’ailleurs l’apprentissage principal fait dans les écoles de journalismes (à l’ESJ par exemple, il n’y a pas de bibliothèque ! Pas besoin de se documenter, de se cultiver, puisqu’il suffit de travailler à partir de dépêches AFP et de ce qu’ont écrit d’autres journalistes ; de toute façon on n’aura pas le temps de lire quand on sera journaliste).
Dans ce contexte, quel rapport avoir aux médias ? Nous sommes souvent le cul entre deux chaises : nous critiquons les médias pourtant nous les sollicitons lors des mobilisations.
Car une mobilisation a besoin d’une médiatisation minimale pour être visible. Mais faut-il se plier aux desiderata des médias ? Au risque de voir notre message coupé, voire totalement transformé. Chacun a son anecdote d’interview de 10 minutes, voire plus, d’où ne ressortira finalement que deux phrases, en général anecdotiques et sans intérêt.
Doit-on alors anticiper sur les attentes des médias, et ne préparer qu’une ou deux phrases toutes faites ? Ou ne fournir que des communiqués ? Ou jouer le jeu des médias, en préparant des actions « pour les médias » (par exemple, dans une académie on a construit un mur de parpaing devant le rectorat), quitte à rendre visible une action ultra-minoritaire mais très médiatisée ? Mais on risque de se fourvoyer, en sacrifiant la construction collective de l’action à la construction médiatique.
Se couper totalement des médias n’est pas forcément non plus la solution. On a aussi besoin de la visibilité que donnent les médias, une certaine médiatisation (quand elle n’est pas tronquée et focalisée sur les « usagers pris en otage »...) peut aussi permettre de mieux mobiliser, de se remotiver. Sans forcément se plier au formatage exigé par la plupart des médias, sans forcément agir « pour les médias », il est sans doute possible de choisir certains médias, en ayant certaines exigences, de faire passer notre message sans se renier.
Par ailleurs, il faut aussi développer nos propres outils de médiatisation, notre presse syndicale, et la rendre plus attractive. Contrairement à l’adage du paysage médiatique dominant, il est aussi de notre devoir de rendre intéressant ce qui est important…
Texte inspiré de l’exposé de François RUFFIN, lors du stage fédéral « syndicalisme et médias » qui a eu lieu les 25 et 26 janvier à Amiens. François RUFFIN est journaliste, auteur des Petits soldats du journalisme et de Quartiers Nord ». Il anime aussi le journal alternatif Fakir sur Amiens, et travaille pour l’émission de Mermet « là-bas si j’y suis ». A lire également : Le plan B, journal d’information critique des médias et d’enquêtes sociales..
SUD Éducation 59/62